COMMENT GARANTIR L’INDEPENDANCE DU JUGE CONSTITUTIONNEL
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COMMENT GARANTIR L’INDEPENDANCE DU JUGE CONSTITUTIONNEL

Dernière mise à jour : 18 mars 2019

Considérée comme étant l’acte juridique de naissance d’un Etat, la constitution se conçoit comme étant un texte (loi fondamentale) ou exceptionnellement une coutume dont la fonction est d’énoncer les règles relatives à la forme de l’Etat, au statut des gouvernants et aussi à l’exercice du pouvoir politique. Cette norme, aujourd’hui dans un contexte démocratique, est considérée comme le miroir, le reflet de la société dans son ensemble qui a voulu se doter d’une charte fondamentale devant guider leurs relations au sein de leur société. Vu son importance, il faudrait apporter une garantie à son efficacité et à son effectivité ; faute de quoi : « elle se réduirait à une lettre morte » comme le constate Alexis de Tocqueville. S’il est indubitable que toutes les constitutions peuvent recevoir une protection politique, les tendances contemporaines préconiseraient une protection juridique qui pourrait assurer de façon efficiente la garantie de l’autorité de la norme-mère. Pour ce faire, les constituants vont confier cette tâche à un organe spécial, particulier, doté d’attributions propres, principalement celle qui consiste à faire constater qu’un acte juridique édicté par une autorité publique a été pris en violation de la Constitution et est en conséquence dépourvu de toute force juridique. Cet organe spécial est le Conseil Constitutionnel qui dispose d’un pouvoir qui est le contrôle de constitutionnalité des lois. Nul ne saurait nier l’importance de ce pouvoir lui étant reconnu au regard de son objet portant sur la norme suprême et fondamentale d’un Etat. Cependant, face aux pouvoirs sans cesse croissant des acteurs du pouvoir exécutif de nos jours, notamment en Afrique, la question de l’indépendance du juge constitutionnel reste toujours d’actualité dans la mesure où il n’est pas rare de voir des décisions émanant de cette institution qui laissent paraître une certaine partialité de la part du juge constitutionnel en faveur des acteurs du pouvoir exécutif (président, premier ministre, ministre…).

Comment alors garantir une indépendance intangible pouvant permettre à ce juge d’exercer ses fonctions en toute quiétude ?

Pour parvenir à ce dessein, les lignes qui suivront se proposent de faire un inventaire non exhaustif de différents voies et moyens, tant techniques que juridiques, pouvant permettre d’atteindre cet idéal. Ainsi donc, dans le cadre de cette étude, nous nous appesantirons sur le statut constitutionnel. Ce statut porte aussi bien sur l’institution elle-même et sur les membres la composant.



1. Le statut de l’institution

Les études notamment celles portant sur le droit constitutionnel comparé nous démontre qu’une triple autonomie est nécessaire pour une indépendance de haute volée des juridictions constitutionnelles. Il s’agit de l’autonomie règlementaire, de l’autonomie administrative et de l’autonomie financière.


a- L’autonomie règlementaire

Cette première autonomie s’avère être primordiale dans la mesure où elle permettrait à l’institution de fonctionner de par elle-même. Concrètement, l’autonomie règlementaire permettrait à la juridiction constitutionnelle de définir elle-même les règles de fonctionnement et de procédure de l’institution. En effet, s’il faut reconnaitre que la constitution et la loi établissent les grandes lignes d’un système donné, ces règles à caractère général ne sauraient assurer pleinement une autonomie effective de l’institution. De ce fait, il serait judicieux de laisser la juridiction constitutionnelle elle-même élaborer ses propres règles. Et lorsqu’une loi s’intercale entre la constitution et le règlement de procédure, elle doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle par la Cour elle-même comme c’est le cas en France où la loi organique relative au conseil constitutionnel est obligatoirement soumise au contrôle de celle-ci. En Côte d’Ivoire par exemple, l’article 10 de la loi organique de 2001 relative à l’organisation et au fonctionnement du conseil constitutionnel dispose que c’est par le biais d’un décret pris en conseil des ministres sur proposition du président du Conseil Constitutionnel, que le règlement, la composition et le fonctionnement des différents services, est déterminé. Une telle initiative est louable mais cela laisse paraitre des liens non négligeables entre l’exécutif et le conseil constitutionnel ivoirien. En effet, l’intervention des membres du pouvoir exécutif dans la formation ou dans l’entérinement final des règles de fonctionnement et de procédure du conseil laisse présager indubitablement la pensée que ces derniers pourront toujours user de bassesses pour ralentir le juge constitutionnel dans sa mission de protection de la Constitution. C’est sans doute pour soustraire le plus possible la juridiction constitutionnelle de toutes influences des membres du pouvoir exécutifs qu’au Burkina Faso la loi organique sur la cour constitutionnelle donne pleine attribution à ladite cour elle-même d’établir de façon autonome, son règlement intérieur, ainsi que les règles relatives au fonctionnement et à la composition des services de l’institution.

En plus de l’autonomie règlementaire, adjoindre une autonomie administrative à l’institution ne serait pas de tout refus.


b- L’autonomie administrative

A ce niveau, il faudrait que la juridiction constitutionnelle dispose d’une administration interne autonome distincte de celle de l’exécutif et du législatif. Cela suppose donc l’existence d’un siège de l’institution distinct et séparé des autres institutions. Si dans certains pays comme la Côte d’Ivoire cette séparation a été effective mais dans la même ville, en l’occurrence Abidjan[1], dans d’autres pays comme l’Allemagne, la séparation a été poussée encore plus loin dans la mesure où le siège de la Cour constitutionnel allemande se situe dans une autre ville (Karlsruhe). Sur le continent africain, un exemple majeur, celui de l’Afrique du Sud peut être cité dans le même ordre d’idée. En effet, dans l’optique que consacrer une séparation totale des différents pouvoirs, les sièges abritant ces pouvoirs ont été séparés dans trois villes. C’est ainsi que les institutions relatives au pouvoir exécutif se situent à Pretoria, celles du pouvoir législatif au Cap, et enfin celles du pouvoir judiciaire (avec la cour constitutionnelle) à Braamfontein. Certes, cela ne garantit pas suffisamment l’indépendance de chaque pouvoir vis-à-vis des autres, mais une telle pratique présente une valeur hautement symbolique dans la mesure où on veut réellement marquer le pas avec les influences des autres pouvoirs sur les juridictions constitutionnelles.

Outre cette exigence de séparation des sièges, l’autonomie administrative supposerait aussi l’existence un ensemble d’experts ou d’assistants, qui aideront les juges dans l’orientation des différentes décisions à prendre, et d’agents administratifs nommés et rémunérés directement par l’institution elle-même. Au-delà du personnel, doter l’institution de moyens techniques[2] et bibliographiques adaptés aux missions de la juridiction peut conduire à une indépendance quasi-totale du point de vue administratif.

Mais quel serait l’impact réel de tous ces moyens mis à la disposition de la juridiction constitutionnelle si l’apport financier faisait défaut. D’où l’intérêt pour l’institution d’avoir une autonomie financière suffisante.


c- L’autonomie financière

Ceci est une réalité depuis toujours, « l’argent est le nerf de la guerre ». Grâce aux moyens financiers, il est facilement possible de rendre docile ou dépendant quasiment toutes personnes ou institutions créées par l’homme. La juridiction constitutionnelle n’échappe pas à ce constat. Pour faire face à ce danger fort important, il serait judicieux de doter la juridiction constitutionnelle de moyens financiers conséquents pour qu’elle puisse fonctionner de façon efficiente.

Généralement, les constitutions et lois donnent compétence à la juridiction elle-même d’établir son budget, en évaluant librement ses dépenses et de demander à l’Etat de lui fournir les ressources correspondantes. Concrètement, le budget de l’institution est voté par le Parlement, dans le cadre du budget général, mais sans que les parlementaires puissent en discuter le contenu. Ensuite, une fois voté, il appartiendra à la juridiction de gérer ses ressources de façon autonome. En Côte d’Ivoire par exemple, l’article 9 de ladite loi organique de 2001 citée plus haut, dispose que le Conseil Constitutionnel jouit de l’autonomie financière. A cet effet, c’est le président du Conseil lui-même qui exerce les fonctions d’ordonnateur dans les conditions déterminées par le règlement de la comptabilité publique. A titre de rappel, on appel ordonnateur de recettes ou de dépenses toute personne ayant qualité au nom de l’Etat, d’une collectivité ou d’un établissement public pour contracter, constater ou liquider une créance ou une dette ou encore pour ordonner soit le recouvrement d’une créance soit le paiement d’une dette. En France, contrairement à la pratique ivoirienne, l’exécution du budget de la juridiction est faite par un « agent comptable », placé sous l’autorité du président du Conseil Constitutionnel. Quoiqu’il en soit que le juge constitutionnel exerce lui-même ou contrôle l’activité d’un agent chargé spécialement de la gestion du budget de l’institution, et cela contribue à n’en point douter au renforcement de l’indépendance des pouvoirs de la juridiction constitutionnelle et par ricochet au juge lui-même dans ses actions.

En plus du statut de l’institution, un autre est nécessaire voire inévitable, c’est le statut des membres.



2. Le statut des membres

Les garanties contenues dans le statut des membres de la juridiction constitutionnelle viennent compléter celles définies par le statut de l’institution. Le statut des membres s’articule autour de la nomination des membres de la juridiction, autour du mandat de ses membres, et aussi au niveau des attributions que les textes consacrent.


a- La nomination des membres de la juridiction constitutionnelle

A ce niveau, on peut opter pour plusieurs possibilités.

Primo, la nomination des membres de la juridiction résulte d’un acte émanant de l’exécutif plus précisément du chef : soit le président ou le premier ministre. Cependant, des interrogations restent posées dans la mesure où l’indépendance des juges constitutionnels peut s’avérer gravement altérée. En effet, comment imaginer que le devoir de réciprocité ne pourrait pas hanter un tant soit peu le juge constitutionnel, dans ses actions futures, après sa nomination par l’autorité politique. C’est ce que consacre la constitution ivoirienne en ses articles 129 et 130. Selon ces dispositions, le pouvoir de nomination appartient au seul Président de la République. Une telle pratique révèle assez de dangers comme l’on a mentionné tout juste plus haut. Ainsi, on ne pourra compter que sur les seules les qualités humaines (honnêteté, dignité, courage…) des juges ou encore le devoir d’ingratitude du juge constitutionnel pour qu’on puisse constater une véritable indépendance.

Secundo, il peut être judicieux d’opérer un partage de compétence en matière du pouvoir de nomination. Cela peut se matérialiser par le partage de ce pouvoir entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ; et ce, à part égale. Cela signifie que chaque pouvoir peut nominer un même nombre de juges. En France, par exemple, les neuf membres du conseil constitutionnel sont désignés à raison de trois par le Président de la République, trois par le Président de l’assemblée Nationale, et trois par le Président du Sénat. Il en est de même en Roumanie où les neuf juges sont choisis à raison de trois par le président de le République, trois par la chambre des députés, et trois par le sénat. Cette pratique peut conférer une certaine liberté d’action au juge constitutionnel en ce sens que le devoir de réciprocité ou de reconnaissance évoqué plus haut est difficilement concevable dans ce cas de figure : devra-t-il avoir un devoir de reconnaissance envers toutes les autorités investies du pouvoir de nomination au risque d’avoir des décisions trop élastiques ? Et si reconnaissance il doit y avoir, elle sera à l’avantage de quelle autorité ? Toutes ses interrogations nous font dire que l’indépendance du juge constitutionnel dans ces conditions peut être assurée.

Tercio, on peut aussi concevoir que le pouvoir de nomination soit partagé entre les trois pouvoirs à savoir l’exécutif, le législatif et le pouvoir judiciaire. Cela répond à la logique de la division horizontale du pouvoir, autrement appelé séparation des pouvoirs, qui sous-tend que les trois pouvoirs soient sur un pied d’égalité et indépendant vis-à-vis des autres. Concrètement, les institutions de chaque pouvoir participeront de façon concurrente à la phase de nomination des membres de la juridiction constitutionnelle. Ainsi, en Italie, par exemple, les quinze juges de la Cour Constitutionnelle, sont désignés à raison de cinq par le président de la République, cinq par le parlement à la majorité des trois cinquièmes, et cinq autres derniers juges par des organes apolitiques, juridictionnel précisément, que sont le conseil d’Etat et la cour de cassation. Dans la veine, en Espagne, les douze juges du Tribunal Constitutionnel sont désignés à raison de quatre par chacune des chambres du Parlement, deux par le gouvernement, et les deux derniers par le Conseil général du pouvoir Judiciaire.

Quarto, enfin, la nomination des membres de la juridiction peut résulter d’une élection par un organe investi de ce pouvoir. Cela peut leur conférer une certaine légitimité populaire aux membres de l’institution ; de sorte que ceux-ci se démarquent un tant soit peu du devoir de reconnaissance envers les autorités politiques. C’est ainsi qu’en Russie, les dix-neuf membres de la Cour Constitutionnelle sont élus par le Conseil de la Fédération (chambre haute fédérale) sur proposition du Président de la République.

En tout état de cause, le caractère politique du pouvoir de nomination transparaîtra toujours. Mais dans l’optique conjurer un tant soit peu ce caractère, les constituants souvent exigent des membres de l’organe de contrôle une certaine qualification en matière juridique. C’est ainsi qu’en Italie, à titre d’exemple, ne peuvent être membre de la juridiction constitutionnelle que les professeurs de droit, les magistrats ou les avocats ayant au moins vingt années d’exercice de leurs professions.

Outre la nomination, l’indépendance des juges constitutionnels passe par l’assurance d’un mandat de qualité.


b- Le mandat des membres de la juridiction constitutionnelle

Assurer une indépendance intangible des membres de la juridiction constitutionnelle par le biais du mandat nous pousse à aborder deux idées dans cette partie : la durée du mandat et le caractère non révocable de celui-ci.

En ce qui concerne la durée du mandat, trois grandes formules généralement utilisées après analyse du droit comparé semblent se démarquer : la nomination à vie, la nomination pour un mandat long non renouvelable et une formule intermédiaire.

La nomination à vie est une marque de fabrique américaine. Elle constitue la référence en la matière. Cette pratique représente une garantie d’indépendance très forte des juges dans la mesure où ceux-ci continueront d’exercer leur fonction après le départ de l’autorité politique qui les a nommés. Du coup, le joug des acteurs politiques semble s’altérer fortement lorsqu’on est en présence d’un tel système de durée de mandat. Toutefois, cette pratique n’est pas dénuée de tout inconvénient. En effet, il peut arriver que du fait du siège d’un juge pendant des dizaines d’années à la Cour, il n’est pas exclu que ce dernier ne soit plus complètement en phase avec l’évolution du droit et des mœurs.

Pour ce qui est de la nomination pour un long mandat non renouvelable, il convient de rappeler qu’il s’agit de la formule la plus répandue dans le monde. Ce mandat long dure en général soit neuf ans (comme en France, au Portugal et en Italie) ou douze (comme c’est le cas en Allemagne). L’élément essentiel ici sur lequel nous devons insister est le caractère non renouvelable de ce mandat. En effet, cette particularité de ce mandat peut permettre au juge d’exercer librement sa profession car il n’a aucune pression quant à la question de savoir s’il sera reconduit ou pas par l’autorité de nomination. De ce fait, ce dernier pourra prendre des décisions en conformité avec le droit sans avoir le souci de plaire ou pas aux acteurs politiques. En Côte d’Ivoire, à titre de comparaison, la Constitution du huit (08) novembre 2016[3], dispose que le juge constitutionnel ivoirien est nommé pour un mandat de six ans non renouvelables. Mandat court ou intermédiaire, nous estimons à notre niveau que la durée de ce mandat ne pourra pas réellement permettre au juge d’exprimer toute sa compétence. Si on ajoute à cela les réalités africaines auxquelles nos juges sont confrontés avec le joug sans cesse pressant des acteurs politiques, la fonction de juge constitutionnel en Côte d’Ivoire ou en Afrique est difficile.

La nomination intermédiaire, quant à elle enfin, consiste à décider qu’un juge demeura membre de la juridiction constitutionnelle aussi longtemps qu’il n’aura pas atteint l’âge synonyme de retraite. C’est ainsi qu’en Belgique ou en Autriche, les membres des Cours constitutionnelles, sont nommés à partir de l’âge de 40 ans pour rester en fonction jusqu’à 70 ans qui équivaut à l’âge de la retraite. De même que la nomination à vie, cette formule intermédiaire permet de donner une assise assez solide aux juges constitutionnels dans l’exercice de leurs fonctions.

En ce qui concerne le second volet de notre étude relative au caractère non révocable, cela suppose ici que la fin du mandat ne doit pas résulter d’un acte unilatéral émanant d’une autorité politique mais plutôt d’une décision prononcée par la juridiction constitutionnelle elle-même selon les règles fixées par la Charte fondamentale. Concrètement, cela va se matérialiser soit par un décès, soit par une démission de la part du juge, ou soit par une déchéance[4]. En tout état de cause, et quels que soient les cas évoqués ci-dessus, on veut soustraire le plus possible l’influence des acteurs politiques dans la fin du mandat du juge constitutionnel. Se sachant ainsi protégé quant à l’intervention des autorités politiques au sujet de la fin de son mandat, le juge constitutionnel sera susceptible d’exercer sa fonction en toute sécurité.

Toujours dans le même ordre d’idée, il apparait que l’adjonction de l’immunité de juridiction[5] dont bénéficient les membres des Cours et Conseils constitutionnels, les nombreux avantages financiers (traitement de 68000 euros par exemple en France) constituent aussi une garantie d’indépendance pour les juges constitutionnels.

En plus de tous les points mentionnés plus haut, nous pensons que doter les juridictions constitutionnelles d’attributions spéciales peut concourir à leur indépendance.


c- Les attributions consacrées à la juridiction constitutionnelle

La question de la compétence des juridictions constitutionnelles plus précisément de leur attribution est un point névralgique pouvant concourir à la garantie de l’indépendance des membres de la juridiction. En effet, plus les attributions données par la Constitution seront étendues, plus leurs marges de manœuvre pourront être grandes. La compétence des juges constitutionnels, en leur qualité de protecteur de la Constitution ne devra pas se limiter au contrôle de constitutionnalité des lois. En plus de cette matière, les juges doivent aussi intervenir en matière électorale, en matière d’exercice des libertés fondamentales…etc. Toutes ces matières concourent à la consolidation de l’état de droit, tant recherché dans nos Etats africains. Outre la compétence des juges constitutionnels, un autre aspect de la question relative à l’interprétation sur leur compétence doit être évoqué. Sur ce point, le droit comparé africain nous permet de faire certains constats très intéressants. Ainsi, force est de constater que certains juges ont une conception tantôt extensive ou restrictive sur leur champ de compétence. Ce constat met un autre élément indéniable en exergue : l’audace. Que faut-il comprendre par-là alors ? Selon le Grand Robert, l’audace est la disposition ou le mouvement qui porte à des actions difficiles et dangereuses, au mépris des obstacles et des dangers. Si du côté des juges constitutionnels l’audace est plus une question de tempérament que de garanties statutaires, du côté des juridictions constitutionnelles, l’audace dépend de facteurs multiples : la place qu’occupe la juridiction dans le système institutionnel du pays, sa perception par les citoyens et par les pouvoirs publics qui peuvent y voir un organe auquel on ne pense qu’à l’occasion des élections ou un véritable acteur de l’Etat de droit. A ce propos, nous pouvons citer les actions du juge constitutionnel béninois, qui est toujours donné en exemple par ses paires. En effet, ce dernier a dans l’histoire faire preuve d’audace en ce qui concerne l’interprétation de la Constitution béninoise[6].

Somme toute, l’ensemble qui précède nous a permis de nous rendre compte que les voies et moyens dont on peut doter le juge constitutionnel sont nombreux. Certes, c’est plus facile à dire qu’à faire nous dira-t-on, car il est sans ignorer que l’indépendance du juge constitutionnel dépend en pratique de l’environnement juridico-politique dans lequel il se déploie. De ce fait, si dans certains pays notamment les pays où le niveau de culture juridique et démocratique est élevé, la tâche du juge est relativement aisée, il en va différemment dans d’autres pays où les décisions audacieuses des juridictions constitutionnelles peuvent avoir pour conséquences la suppression pure et simple de ces juridictions ou la tentative des pouvoirs publics d’invalider ces décisions.



(M. EMMANUEL BADA)

[1] Cette même ville accueille en son sein, le palais présidentiel et le palais de l’assemblée nationale dans la même commune (le Plateau) et le conseil constitutionnel à Cocody.


[2] Matériels de bureau, ordinateurs, imprimantes…


[3] Article 130


[4] La déchéance est la perte d’un droit ou d’une fonction à titre de sanction


[5] L’impossibilité pour les juges ordinaires d’intenter directement des poursuites contre les membres d’une juridiction constitutionnelle et de ne le faire que sur autorisation de celle-ci.


[6] En 1995, la Cour constitutionnelle du Bénin a ainsi enjoint au législateur organique de favoriser la dépolitisation de la magistrature : « l’article 125 de la Constitution affirme l’indépendance du pouvoir judiciaire ; … pour garantir cette indépendance, le Conseil supérieur de la magistrature doit jouer un rôle prééminent ; … les avis qu’il est appelé à donner dans ce cadre lient le Chef de l’Etat ; … dès lors, l’avis mentionné à l’article 129 [préalable à la nomination des magistrats] doit s’entendre « avis conforme ». L’Assemblée nationale a d’abord refusé de se plier à cette interprétation constructive audacieuse, ce qui a entraîné une nouvelle censure en 1996 ; elle a fini par s’incliner de mauvaise grâce deux ans plus tard.

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