Introduction
La complicité en droit pénal repose sur l’idée qu’une personne peut être tenue responsable d’une infraction même si elle n’en est pas l’auteur principal, à condition qu’elle ait contribué à sa réalisation. L’article 31 du code pénal ivoirien énonce que tout complice d’un crime, d’un délit ou d’une tentative est également complice de toute infraction dont la commission ou la tentative était une conséquence prévisible de la complicité. Ce principe soulève des questions complexes, notamment lorsque l’infraction commise diffère de celle initialement projetée. Ce développement explore ces situations en s’appuyant sur des exemples jurisprudentiels et des analyses doctrinales.
1. Le principe de la conséquence prévisible
L’article 31 du code pénal ivoirien pose le principe selon lequel le complice est responsable non seulement de l’infraction à laquelle il a participé, mais aussi des infractions qui en découlent de manière prévisible. Ce principe repose sur l’idée que le complice doit assumer les conséquences naturelles et prévisibles de ses actes.
Exemple : Si une personne fournit une arme à un tiers en sachant que celui-ci envisage de commettre un vol, elle peut être tenue pour complice non seulement du vol, mais aussi d’une éventuelle agression commise lors de ce vol, si cette agression était une conséquence prévisible.
2. Cas où l’infraction commise diffère de l’infraction projetée
La jurisprudence et la doctrine distinguent plusieurs situations selon que l’infraction commise est moins grave, plus grave, ou de nature différente que celle initialement envisagée.
a) Infraction moins grave que celle projetée
Lorsque l’infraction commise est moins grave que celle à laquelle le complice a participé, ce dernier demeure punissable, mais uniquement pour l’infraction réellement commise. Cette règle s’applique à condition que les deux infractions soient de même nature.
Exemple : Si un complice pensait participer à un meurtre, mais que l’auteur principal n’a commis que des violences, le complice sera poursuivi pour complicité de violences. Cependant, si les infractions ne sont pas de même nature (par exemple, un meurtre projeté et une extorsion commise), le complice ne peut généralement pas être poursuivi, faute d’intention criminelle.
Référence : SALVAGE, Le lien de causalité en matière de complicité, RSC 1981, p. 25.
b) Infraction plus grave que celle projetée
Lorsque l’infraction commise est plus grave que celle envisagée par le complice, ce dernier ne peut pas être poursuivi pour l’infraction aggravée, car il n’a pas participé à l’intention de l’auteur principal.
Exemple : Un créancier remet une arme à un tiers pour intimider son débiteur, mais ce tiers commet un meurtre sur une autre personne. Le créancier ne peut pas être tenu pour complice du meurtre, car il n’avait pas l’intention de participer à un acte aussi grave.
Référence : Crim. 13 janvier 1955, D. 1955, p. 291, note Chavanne ; RSC 1955, p. 512, obs. Légal.
c) Infraction de même nature mais avec des circonstances aggravantes
Si l’infraction commise est de même nature que celle projetée, mais comporte des circonstances aggravantes, le complice peut être tenu responsable de ces aggravations, à condition qu’elles aient été prévisibles.
Exemple : Un complice donne des instructions pour intimider une victime, mais les violences exercées entraînent une incapacité totale de travail de plus de huit jours. Le complice sera tenu responsable de cette aggravation, même s’il ne l’avait pas explicitement envisagée.
Références :
Crim. 21 mai 1996, n° 95-84.252, Bull. crim. n° 206 ; RSC 1997, p. 101, obs. Bouloc ; Dr. pénal 1996, p. 213, note Véron.
Crim. 13 mai 2014, n° 13-83.196, Gaz. Pal. 29 juillet 2014, p. 25, note Detraz.
3. Cas particuliers
a) Changement de victime
Lorsque l’auteur principal commet l’infraction sur une victime différente de celle initialement prévue, la complicité n’est généralement pas retenue, sauf en cas d’erreur sur la victime.
Exemple : Si l’auteur devait tuer une personne A mais tue une personne B, le complice n’est pas punissable. En revanche, si l’auteur se trompe de victime (par exemple, il visait A mais tue B par erreur), le complice reste responsable.
Référence : Crim. 10 mars 1977, Bull. crim. n° 91 ; D. 1977, IR 237, obs. Puech ; RSC 1979, p. 76, obs. Larguier.
b) Changement de mode d’exécution
Si le mode d’exécution de l’infraction diffère de celui prévu, mais que l’infraction reste de même nature, la complicité peut être retenue.
Exemple : Si la victime devait être étranglée mais est finalement électrocutée, le complice reste punissable. Cependant, si le changement de mode d’exécution rend l’infraction non punissable (par exemple, l’arme fournie par le complice n’est pas utilisée), la complicité ne peut être retenue.
Référence : Crim. 31 janvier 1974, JCP 1975, II, 17984, note Mayer-Jack ; RSC 1975, p. 582, obs. Larguier.
4. Analyse doctrinale et critiques
La doctrine souligne que le principe de la conséquence prévisible peut conduire à des situations d’impunité, notamment lorsque l’infraction commise est plus grave que celle envisagée. En effet, le complice, bien qu’ayant manifesté une intention antisociale, ne peut être poursuivi pour une infraction à laquelle il n’a pas participé intentionnellement. Cette impunité est souvent critiquée, car elle ne reflète pas toujours la dangerosité réelle du complice.
Références doctrinales :
SALVAGE, Le lien de causalité en matière de complicité, RSC 1981.
BOULOC, Observations sur la jurisprudence, RSC 1997.
VÉRON, Note sur la jurisprudence, Dr. pénal 1996.
Conclusion
La complicité en droit pénal ivoirien et français repose sur une analyse fine des intentions et des conséquences prévisibles des actes commis. Si le complice peut être tenu responsable des infractions découlant de sa participation, cette responsabilité est limitée par l’exigence d’une intention criminelle et d’une prévisibilité des conséquences. Les cas où l’infraction commise diffère de celle projetée illustrent les difficultés pratiques de cette analyse, notamment en matière de qualification et de preuve de l’intention.
Cette approche, bien que critiquée pour ses lacunes, reste un pilier essentiel du droit pénal, garantissant un équilibre entre la répression des comportements antisociaux et le respect des droits de la défense. Les références jurisprudentielles et doctrinales citées permettent de mieux comprendre les nuances et les limites de ce principe.
Comments