I. Introduction
- L’idée d’une séparation des pouvoirs apparaît dès l’Antiquité. Aristote expliquait notamment que « Toutes les Constitutions comportent trois parties (…) quand ces parties sont en bon état, la constitution est nécessairement elle-même en bon état ».
- Toutefois, même si on retrouve une classification tripartie, la séparation des pouvoirs ne signifie pas la division en trois ensembles. Ainsi, par exemple, dans la Chine ancienne, on avait 5 pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire, pouvoir de contrôle et pouvoir d’examen).
II. ORIGINE DE LA SEPARATION DES POUVOIRS
- La forme « moderne » de la séparation des pouvoir apparaît chez Locke (Essai sur le gouvernement civil, 1690) et le principe sera ainsi consacré par Montesquieu dans l’Esprit des Lois, en 1748, qui, en s’inspirant de Locke va faire de la séparation des pouvoirs un principe général d’organisation du pouvoir étatique.
- Montesquieu s’inspire de la Constitution britannique (et donc de Locke). Il explique ainsi qu’ « il y a, dans chaque Etat, trois sortes de pouvoirs ; la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil. »
Montesquieu précise ensuite ces 3 sortes de puissance :
- La puissance législative constitue ainsi pour « le prince ou le magistrat » de faire
« des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites ».
- La seconde puissance représente pour « le prince ou le magistrat » le fait de faire « la paix ou la guerre » d’envoyer ou de recevoir des ambassades, d’établir la sûreté, de prévenir les invasions. Il s’agit de la puissance exécutrice de l’Etat.
- La troisième puissance constitue enfin pour « le prince ou le magistrat », le fait de punir les crimes, ou de juger les différends des particuliers. Montesquieu appelle cette dernière puissance « la puissance de juger ».
- Montesquieu pose le principe d’une stricte séparation entre ces trois pouvoirs : « Lorsque, dans la même personne (…) la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté, parce qu’on peut craindre que le même monarque (…) ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement ».
- Il en va de même pour la séparation entre la puissance de juger et les deux autres :
Montesquieu démontre que si la puissance de juger s’ajoute à la puissance législative : « le
pouvoir sur la vie et la liberté serait arbitraire parce que le juge serait législateur » ;
- De la même manière, si l’on rassemble dans la même personne le pouvoir de juger et la puissance exécutrice, alors dans ce cas : « le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur ». Donc « tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple exerçait ces trois pouvoirs ».
- L’importance d’organiser une séparation des pouvoirs a été reprise par les révolutionnaires, comme en témoigne l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
- C’est un principe fondamental du droit constitutionnel libéral (en ce sens que la séparation des pouvoirs est un fondement de la Constitution).
- Toutefois, même Montesquieu n’a jamais évoqué littéralement le « principe » de séparation des pouvoirs. La réalité de ce principe, de pourquoi il est fondamentalement important de séparer les pouvoirs.
- Or, pour s’interroger sur la séparation des pouvoirs, il fallait déjà réfléchir sur les différentes fonctions du pouvoir. Car une fonction est différente d’un pouvoir.
- C’est ce qu’a fait Aristote et ce que reprendra Locke : ils établissent simplement la liste de toutes les fonctions de l’Etat. Ces fonctions sont, historiquement (et donc, parfaitement logiquement à l’époque puisqu’on trouve ca normal) au sein d’un seul homme ou d’un seul organe : le souverain.
- Mais, en établissant la liste des pouvoirs, Locke conçoit qu’ils puissent être exercés par des organes différents. Il va proposer d’attacher des pouvoirs à certains organes.
- Montesquieu, on l’a vu, s’inspire des travaux de Locke. Sa théorie repose sur l’idée d’une répartition des fonctions entre des organes indépendants les uns des autres : la séparation des pouvoirs, c’est avant tout une distribution du pouvoir.
- Pourquoi veut-il distribuer le pouvoir ? Pour trouver un système de gouvernement où la liberté est protégée. Il explique que « la liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés (…) » dès lors que l’on n’abuse pas du pouvoir. Or, « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites » : et il en déduit que « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
- Montesquieu se méfie donc du pouvoir, qu’il cherche à affaiblir par l’existence d’un gouvernement modéré.
- L’idée également défendue est que le gouvernement modéré suppose que les puissances soient combinées, réglées, tempérées : il s’agit, pour Montesquieu de « donner pour ainsi dire un lest un l’une pour la mettre en état de résister à l’autre ».
- Il ne s’agit pas de mettre ces pouvoirs en concurrence les uns les autres (sinon, les conflits permanents entre eux aboutiraient à paralyser l’Etat), mais, en quelques sortes à handicaper chacun des pouvoirs qui ne pourra agir sans le concours d’un autre pouvoir. Pour exécuter une loi, on a besoin du pouvoir exécutif, pour sanctionner, on a besoin du pouvoir judiciaire.
- C’est ainsi que Montesquieu, souvent présenté à tort comme le partisan d’une séparation stricte des pouvoirs, propose, en réalité une collaboration des pouvoirs.
- En réalité, les révolutionnaires ne retiendront que les grandes lignes de la théorie de
Montesquieu (pour sauvegarder la liberté, il faut séparer les pouvoirs) : Ainsi, les
Constitutions de 1791 et de 1795 vont poser le principe d’une séparation stricte des pouvoirs.
III. LA TYPOLOGIE DES REGIMES DE SEPARATION DES POUVOIRS
- Il s’agit de la distinction entre régime parlementaire et régime présidentiel. Troper le définit ainsi : « si le régime présidentiel est défini par la séparation rigide des pouvoirs, le régime parlementaire doit l’être par la séparation souple ».
1. UNE SÉPARATION STRICTE OU SOUPLE
- Dans le cadre d’un régime parlementaire, les pouvoirs législatifs et exécutifs peuvent se détruire l’un l’autre. C’est à dire permettre la possibilité pour le législatif de censurer l’exécutif, et le droit pour l’exécutif de dissoudre le législatif.
Il s’agit par exemple du régime britannique (mais également régime de la 3ème et de la 4ème Rép.). La séparation est ici souple, puisque chaque pouvoir « repose » sur l’autre, ce qui implique une collaboration volontaire entre les deux.
- Dans le cadre d’un régime présidentiel : la séparation des pouvoirs est par contre stricte.
C’est à dire qu’il n’y a pas de contrôle du législatif sur l’exécutif, et pas de possibilité de dissoudre l’assemblée.
Il s’agit par exemple du régime politique américain.
- Toutefois, en réalité, cette distinction est dogmatique et ne correspond pas ou plus à la réalité.
- Ainsi, par exemple, la Cour Suprême des Etats Unis, dans un arrêt United States c/ Richard Nixon, POTUS, déclare que « en définissant la structure de notre gouvernement et en divisant le pouvoir souverain en trois branches égales, les Fondateurs de la Constitution ont cherché à définir un système d’ensemble ; mais il n’était pas dans leur intention que les pouvoirs séparés opèrent une indépendance absolue ». Cela implique donc une absence de séparation stricte.
2. QUELS SONT CES POUVOIRS ?
- La Constitution de la 5ème République française pose un régime présidentiel, donc en théorie, une séparation stricte des pouvoirs.
Le pouvoir législatif est le pouvoir d’édicter des règles à portée générale, c’est-à-dire des lois.
- Il représente l’expression de la volonté générale. Le législateur est élu par le peuple (contrairement aux autres pouvoirs)
- Dans la Constitution de 1791, si on a voulu une nette séparation des pouvoirs (en déformant Montesquieu), c’était pour protéger ce pouvoir contre l’empiètement des autres (fin de l’absolutisme et peur du gouvernement des juges).
- Toutefois, le pouvoir d’adopter des normes à caractère général n’est pas le monopole du Parlement, ni sa seule attribution, en particulier sous la 5ème Rép.
- Le Parlement peut prendre des mesures individuelles (ex : loi réintégrant dans l’armée le capitaine Dreyffus). Le gouvernement peut, dans le cadre de son pouvoir réglementaire, adopter des normes à caractère général pour mettre une loi en application (art.21 de la Constitution). La Constitution de la 5ème a reconnu un pouvoir réglementaire autonome du gouvernement (c’est-à-dire au-delà des simples règlements pris en application d’une loi) : pour les domaines qui ne relèvent pas de la compétence du législateur, relèvent du pouvoir réglementaire. Par ailleurs, les citoyens, par la démocratie directe, peuvent adopter une loi.
- Le gouvernement est, d’une manière générale, à l’initiative des lois (projets de lois) :
90% des lois sont d’origine gouvernementale.
Le pouvoir exécutif est le pouvoir de procéder à l’exécution des lois.
- Il est en charge du pouvoir réglementaire (on a vu que ca allait plus loin que des mesures d’application des lois), il dirige l’administration (chaque ministre est à la tête d’une administration), il dispose de la force armée. Mais, on a vu qu’il participait également à la fonction législative. De plus, le parlement peut lui déléguer un pouvoir législatif (art. 38 C° : le gouvernement pour suivre son programme peut demander au parlement l’autorisation de prendre, pendant une durée limitée, des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi. On parle alors d’ordonnances). Il dirige l’armée et les relations extérieures.
- Même dans le régime présidentiel américain (qui constitue quand même l’archétype de la séparation rigide) : droit de veto du président, participation du Sénat à la conclusion des traités internationaux, participation de la Cour suprême à la fonction législative.
Le pouvoir juridictionnel.
- Le pouvoir juridictionnel veille à l’application de la loi. Montesquieu considère qu’« Il est la bouche de la loi ».
- Toutefois, ici encore, on peut procéder à une atténuation par la pratique des cavaliers législatifs : le parlement va valider des actes irréguliers. Ou encore, comme on l’a vu, adopter une loi d’amnistie…
Conclusion : distinction classique des différents régimes de séparation des pouvoirs qui s’atténue.
- Il faut également composer avec la donnée politique : en cas de majorité au gouvernement et à l’assemblée : que devient la séparation des pouvoirs ? En tenant compte du phénomène partisan (c’est-à-dire du pouvoir détenu par un parti politique), on aboutit à une concentration des pouvoirs, sans pour autant, contrairement à ce que pensait Montesquieu, l’on aboutisse à une tyrannie.
- Si la notion de séparation rigide ou souple des pouvoirs ne désigne plus grand-chose aujourd’hui, elle reste utile pour appréhender l’organisation des pouvoirs et comprendre leur agencement.
Comments