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BREF DEVELOPPEMENT SUR LA RESPONSABILITE SANS FAUTE DE L’ADMINISTRATION

La responsabilité semble être plus une déduction des actions négatives posées que de celles non-posées par une personne. Toujours est-il, que dans l’un ou dans l’autre cas des tiers peuvent subir des effets dommageables puisque toute activité ou action posée présente un risque aussi infime soit-il. « … quiconque crée un risque à son profit doit bénéficier ou pâtir de l’intégralité des conséquences de ce risque ; ayant l’éventuel profit de son activité, il doit, en contrepartie, en supporter les inconvénients ». Elle s’appuie sur un fondement qui établit son régime propre.



I- Une responsabilité fondée sur le risque


Le risque suppose un danger éventuel plus ou moins prévisible. Ou encore l’éventualité d’un évènement qui peut causer un dommage. Le risque présente des caractères notamment sa gravité et sa probabilité d’occurrence.

La responsabilité fondée sur le risque procède des considérations suivantes : « Les conséquences imprévisibles du risque doivent demeurer à la charge de l’activité qui a créé ce risque. Toute activité entraîne des risques pour les tiers comme pour celui qui agit ; il est équitable que ce dernier répare les dommages causés par son action alors même qu’aucune faute ne peut lui être imputée. Quiconque crée un risque à son profit doit bénéficier ou pâtir de l’intégralité des conséquences de ce risque ; ayant l’éventuel profit de son activité, il doit, en contrepartie, en supporter les inconvénients. »[1].

Le risque peut naitre dans diverses activités de l’administration et être abordé avec certaines particularités selon le cas.


1. Les ouvrages publics « exceptionnellement » ou « particulièrement » dangereux. CE, Ass., 6 juillet 1973, Ministre de l’équipement et du logement c/ Sieur Dalleau, n° 82406 ;

Nota bene : lorsque la victime est un tiers par rapport à un ouvrage public, le régime de la responsabilité sans faute s’applique même si l’ouvrage n’est pas dangereux - CE, Sect., 7 novembre 1952, Grau.


2-L’usage par la police d’armes à feu ou d’engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens. Il s’agissait d’abord d’armes délicates à manier - par exemple, des mitraillettes. Puis toutes les armes à feu ont été prises en considération - CE, Ass., 24 juin 1949, Consorts Lecomte. Mais la responsabilité sans faute ne joue que si le dommage a été causé à une personne non visée par l’opération de police ; sinon on retourne à la responsabilité pour faute.


3-Les situations dangereuses ou chose dangereuse : L’accumulation d’explosifs à proximité des habitations d’une agglomération (CE, 28 mars 1919, Regnault Desroziers) ; le maintien (ordonné) à son poste du consul de France à Séoul lors de l’invasion de la ville par les troupes nord-coréennes (CE, 19 octobre 1962, Perruche)


4-La défaillance des produits et appareils de santé (transfusion sanguine –VIH – etc.). CE, Ass., 9 avril 1993, Consorts N'Guyen,Consorts Jouan et Consorts Pavan, (trois requêtes) ; CE, 15 juillet 2004, M. André X : « Considérant que, sans préjudice d'éventuels appels en garantie, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise ; ».


5-Le recours à des méthodes dangereuses. CE, Sect., 3 février 1956, Ministre de la justice c/sieur Thouzellier (Rec. p.49); solution étendue

5.1 aux mesures d'assistance éducative – CE, 13 février 2009, Département de Meurthe-et Moselle : « Considérant, en second lieu, que la décision par laquelle le juge des enfants confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil, à l'une des personnes mentionnées à l'article 375-3 du même code, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur ; qu'en raison des pouvoirs dont le département se trouve ainsi investi lorsque le mineur lui a été confié, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ; que cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime ; »

5.2 au milieu pénitentiaire : préjudice résultant d’un crime ou d’un délit commis au cours d’une permission de sortir accordée à un condamné par le juge de l’application des peines – CE, 3 juillet 2000, Garde des sceaux c/ Consorts Y.. et M. X., n° 3198 ;

5.3 au milieu hospitalier – CE, Ass., 9 avril 1993, Bianchi. Selon cette dernière décision, « lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité. » La décision CE, Sect., 3 novembre 1997, Hôpital Joseph-Imbert d’Arles2 étend la solution aux accidents anesthésiques ; elle lui confère aussi un caractère plus général en substituant « patient » à « malade ». Au total, l’application de la jurisprudence Bianchi est subordonnée à quatre conditions :

1-L’acte médical nécessaire au traitement ou au diagnostic présente un risque exceptionnel dont l’existence est connue ;

2-Il n’est pas établi que le patient ait des prédispositions à ce risque ;

3-L’exécution de l’acte est la cause directe d’un dommage sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état ;

4-Le dommage dont il s’agit est d'une extrême gravité.


6-Les dommages subis par les collaborateurs occasionnels des services publics : Arrêt (de principe) par lequel a débuté toute la jurisprudence sur la responsabilité sans faute : CE, 21 juin 1895, Cames.

*Plusieurs cas de figure existent qui ont en commun d’entraîner la responsabilité sans faute de l’administration :

-La collaboration requise (exigée) par l’autorité administrative : CE, Ass., 22 octobre 1943, Sarda ;

-La collaboration simplement sollicitée par l’autorité administrative : CE, Ass., 22 novembre 1946, Commune de Saint-Priest-la-Plaine ; CE, 12 octobre 2009, Mme Charline Marie Rose Pierrette et autres ;

-La collaboration spontanée (justifiée ou acceptée par l’autorité administrative) à l’exécution d’une mission de service public : CE, Sect., 17 avril 1953, Pinguet ;



II- La responsabilité sans faute fondée sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques

Les personnes publiques se doivent toujours de poursuivre un but d’intérêt général. Pour atteindre ce but, elles imposent parfois des sujétions, des charges aux administrés.

Normalement, ces charges sont équitablement réparties entre les administrés. En effet, l’égalité devant les charges publiques est un principe général du droit - Cf. supra La problématique des sources de la légalité. Mais, parfois, des charges anormales pèsent sur un nombre réduit d’administrés. Ceux-ci sont alors victimes d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques. Ils ont droit à réparation - sur le terrain de la responsabilité sans faute - à condition que le préjudice subi soit grave et spécial.


*Le juge se livre à une appréciation in concreto de cette double condition :

-La gravité du préjudice. La reconnaissance, quelque peu subjective, du « caractère de gravité du préjudice » est affaire d’espèce.

Exemple : CE, 11 février 2011, Mlle Susilawati :

« Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’instruction qu’eu égard au montant des sommes en cause et à la situation de la requérante, le préjudice invoqué par Mlle Susilawati revêt un caractère de gravité de nature à ouvrir droit à indemnisation ; »

-Le caractère spécial du préjudice. C’est une condition à la fois quantitative et qualitative. Elle signifie que le préjudice affecte particulièrement et donc anormalement (aspect qualitatif) un nombre raisonnablement limité (aspect quantitatif) d’administrés.

Exemple : CE, 11 février 2011, Mlle Susilawati, n° 325253, décision précitée :

« [Considérant] que compte tenu de la rédaction des stipulations de conventions internationales en cause et du faible nombre des victimes d’agissements analogues imputables à des diplomates présents sur le territoire français, le préjudice dont elle se prévaut peut être regardé comme présentant un caractère spécial et, dès lors, comme ne constituant pas une charge incombant normalement à l’intéressée ; ».

En définitive, l’existence d’un préjudice grave et spécial révèle le caractère anormal du fait générateur : « le préjudice ne doit pas découler d’un aléa auquel la victime doit normalement s’attendre, et qu’elle doit par suite assumer en principe sans indemnité. »[2]


A- La responsabilité sans faute du fait des lois

CE, Ass., 14 janvier 1938, Société des produits laitiers La Fleurette.

Faits de l’espèce : l’article 1er de la loi du 29 juin 1934 relative à la protection des produits laitiers avait « interdit de fabriquer, d’exposer, de mettre en vente ou de vendre, d’importer, d’exporter ou de transiter : 1° sous la dénomination de "crème" suivie ou non d’un qualificatif ou sous une dénomination de fantaisie quelconque, un produit présentant l’aspect de la crème, destiné aux mêmes usages, ne provenant pas exclusivement du lait ». La loi a ainsi mis la société requérante dans l’obligation de cesser la fabrication du produit qu’elle exploitait antérieurement sous le nom de « Gradine »

*Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait d’une loi sont les suivantes :

-Il ne faut pas que le législateur ait entendu exclure la réparation du préjudice provoqué par la loi en cause – ni exclusion explicite, ni exclusion implicite. Dans le doute, le juge a recours aux travaux préparatoires de la loi pour déceler la volonté du législateur ;

-Il faut que le préjudice subi du fait de la loi soit grave et spécial.

Tel est donc le principe s’agissant de la responsabilité du fait des lois.


B- La responsabilité du fait des conventions internationales

Les conventions internationales sont des actes de gouvernement, et, à ce titre, elles sont insusceptibles de recours pour excès de pouvoir.

Cependant, le Conseil d’État leur a étendu la solution retenue pour les lois - CE, 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radio-électrique.


*Du reste, les deuxième et troisième conditions de la mise en œuvre de cette responsabilité sont identiques à celles qui ont été posées pour le principe de la responsabilité du fait des lois :

-La convention internationale doit avoir été régulièrement incorporée dans l’ordre juridique interne français[3] ;

Exemple : CE, Sect., 13 juillet 1979, SA Coparex : « [Considérant] que cet accord, n’ayant pas été incorpore régulièrement dans l’ordre juridique interne, n’a pu, en tout état de cause, engager la responsabilité de l’Etat, sur le fondement d’une prétendue rupture de l’égalité devant les charges publiques ; »

-Ni la convention, ni, le cas échéant, sa loi de ratification ne doivent avoir exclu le principe de la réparation du préjudice causé par la convention en cause ;

-Le préjudice subi doit être grave et spécial.

Exemple : CE, 11 février 2011, Mlle Susilawati :

« Considérant que la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d'autres Etats et incorporées régulièrement dans l'ordre juridique interne, à la condition, d'une part, que ni la convention elle-même ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation et, d'autre part, que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ; »


C- La responsabilité du fait de certaines décisions administratives

Il ne s’agit pas de décisions administratives illégales, sinon on serait dans un cas de responsabilité pour faute ; une illégalité étant toujours une faute - CE, Sect., 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Sieur Driancourt.

Les décisions dont il s’agit ici sont légales, mais elles causent un préjudice grave et spécial. D’où la responsabilité sans faute pour rupture de l’égalité devant les charges publiques.

Ø Trois cas de figure :

1- Les décisions individuelles

Exemple : le refus d’exécuter une décision de justice ordonnant l’expulsion d’occupants sans titre, en raison des troubles que cette exécution pourrait causer à l’ordre public[4]. Le bénéficiaire de la décision de justice a droit à réparation sur le fondement de la responsabilité sans faute.

§ CE, Ass., 3 juin 1938, Société La Cartonnerie et Imprimerie Saint Charles :

« Considérant qu’il est constant qu’après s’être mis en grève de nombreux ouvriers et employés de la société "La Cartonnerie et imprimerie Saint-Charles" se sont maintenus d’une façon permanente, à partir du 3 juillet 1936, dans les locaux industriels que ladite société exploite à Saint-Marcel, sur le territoire de la commune de Marseille ; que la société s’étant adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au ministre de l’Intérieur pour obtenir d’être remise en possession de son établissement, où les grévistes interdisaient tout travail, lesdites autorités s’abstinrent de lui donner satisfaction ; qu’une ordonnance d’expulsion, rendue à son profit par le président du tribunal de Marseille le 28 juillet et signifiée le 30, resta sans effet immédiat, les autorités administratives, aussitôt requises d’en assurer l’exécution, ayant estimé préférable, pour éviter des troubles, d’obtenir un départ volontaire des grévistes ; que ce départ ne s’effectua que le 28 septembre, après qu’une seconde décision de justice fût intervenue le 18 août ; que, d’ailleurs, il ne fut complètement réalisé qu’à une date ultérieure ; »

§ CE, 30 novembre 1923, Couitéas :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que, par jugements en date du 13 février 1908, le tribunal civil de Sousse a ordonné "le maintien en possession du sieur Couitéas des parcelles de terrain du domaine de Tabia et Houbira dont la possession lui avait été reconnue par l’Etat" et lui a conféré “le droit d’en faire expulser tous occupants” ; que le requérant a demandé, à plusieurs reprises, aux autorités compétentes, l’exécution de ces décisions ; mais que, le gouvernement français s’est toujours refusé à autoriser le concours de la force militaire d’occupation reconnu indispensable pour réaliser cette opération de justice, à raison des troubles graves que susciterait l’expulsion de nombreux indigènes de territoires dont ils s’estimaient légitimes occupants, depuis un temps immémorial ; »


2- Les décisions réglementaires

Exemple : CE, Sect., 22 février 1963, Commune de Gavarnie. Deux chemins conduisent au cirque de Gavarnie. Ils sont tous les deux fréquentés à la fois par des ânes et par des piétons. Afin d’éviter les accidents, le maire décide d’affecter un chemin à chaque catégorie d’usagers. Pour son malheur, un marchand de souvenirs s’était installé au bord du chemin réservé ultérieurement aux ânes - mauvais clients, s’il en est. Notre marchand subit donc un préjudice du fait de la décision du maire. La réparation en sera assurée sur le terrain de la responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques.


3- La responsabilité sans faute pour dommages permanents de travaux publics

► Il s’agit de dommages permanents, lesquels différent, bien sûr, des dommages accidentels ou ponctuels. Ils proviennent uniquement du voisinage de travaux publics. Ils affectent des tiers aux travaux publics. Ils n’ouvrent droit à réparation que s’ils présentent un caractère grave et spécial.

Exemples :

§ CAA de Marseille, 11 janvier 2010, Communauté de communes de la Costa Verde :

« Considérant qu’un point d’apport volontaire aménagé pour les besoins du service de tri des ordures ménagères constitue un ouvrage public dont la présence est susceptible d’engager envers les tiers la responsabilité de la collectivité publique ; qu’il résulte de l’instruction que le point d’apport volontaire d’ordures ménagères installé sur la commune de Valle di Campoloro se trouve face à l’habitation de M. et Mme A située sur l’alignement, de l’autre côté de la route nationale n° 848 ; que les nuisances de tous ordres, qu’il s’agisse de nuisances sonores, olfactives et visuelles, qu’il génère, causent à ces derniers un préjudice anormal et spécial de nature à engager la responsabilité de la Communauté de communes de la Costa Verde ; »

§ CE, Sect., 24 juillet 1931, Commune de Vic-Fezensac, n° 99872 : « Considérant que les inconvénients résultant dans l’espèce, pour le sieur Cazes, de la chute, sur la toiture de sa maison, des feuilles de platane de la place de Vic-Fezensac, n’ont pas excédé les sujétions normales résultant du voisinage de la voie publique, lesquelles d’ailleurs sont compensées par les avantages résultant dudit voisinage ; »

§ CE, Sect., 20 novembre 1992, Commune de Saint-Victoret, nuisances sonores dues au trafic de l’aéroport de Marseille-Marignane.

§ CE, 8 novembre 1957, Société algérienne des automobiles Renault - perte de clientèle et de recettes à la suite de travaux de voirie.


[1] Raymond Odent op.cit. p.1328 [2] Arrighi de Casanova, conclusions précitées. On relève, au passage, que la notion de risque n’est pas très loin. 2 Id. [3] Le juge administratif vérifie la régularité de cette incorporation : CE, Ass., 18 décembre 1998, SARL du parc d'activités de Blotzheim et SCI Haselaecker, n° 181249. [4] A noter : la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France sur le fondement de l'article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (droit au respect de ses biens) pour avoir refusé pen-

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