CONCOURS DIRECT SESSION DE JUIN 2018 ÉPREUVE DE : DROIT PENAL /PROCEDURE PENALE Durée : 3 h Coef. : 3
NB- Sous les anciennes dispositions
SUJET : CAS PRATIQUE
Monsieur BERNARD, Adjudant-chef de gendarmerie à la retraite, convaincu que c’est son fils aîné PAUL, âgé de 23 ans, déscolarisé et sans-emploi, qui lui vole régulièrement son argent et certains effets à la maison, décide de lui donner une correction afin qu’il arrête définitivement ses larcins.
A cette fin, il contacte trois sous-officiers de gendarmerie en service à la Brigade de gendarmerie de Yopougon Toits-rouges, située à quelques mètres de son domicile. Il leur explique la situation et, s’appuyant sur sa qualité d’ancien Adjudant-chef et en leur donnant la somme de cinquante mille (50.000) francs CFA, il leur demande expressément de donner une bonne correction à son fils.
Le soir du dimanche 17 juin 2018, aussitôt que PAUL a franchi le portail de la maison, BERNARD envoie ERIC, son fils cadet de 13 ans, appeler les trois gendarmes qui étaient déjà prêts. Ceux-ci viennent trouver PAUL en train de manger et commencent à le chicoter avec leurs ceinturons tout en le traitant de voleur. En se débattant malgré les coups qui s’abattent sur lui, PAUL parvient à sortir de la maison et à franchir le portail. MONSIEUR PROSPER, un des nombreux badauds que les vociférations des gendarmes et les cris de PAUL ont ameutés, voit PAUL s’enfuir pas très loin de lui avec les gendarmes à sa trousse criant toujours ‘’au voleur’’. Il se met alors à sa poursuite, le rattrape et le ceinture à bras-le-corps. Les gendarmes arrivent aussitôt et pendant que MONSIEUR PROSPER tient fermement PAUL, ils le battent de plus belle. C’est seulement quand PAUL perd connaissance qu’ils arrêtent de le bastonner.
Voyant son fils inanimé, BERNARD s’approche de lui et constatant qu’il est très amoché, appelle à l’aide. Il se précipite vers MONSIEUR CLEMENT, son voisin, riche homme d’affaire, pour le supplier de donner l’une de ses trois voitures pour conduire PAUL à l’hôpital mais MONSIEUR CLEMENT refuse catégoriquement en disant dédaigneusement que ses voitures ne sont pas des ambulances. C’est seulement quarante-cinq minutes plus tard que BERNARD trouve un taxi qui accepte de prendre à son bord PAUL qui avait perdu beaucoup de sang entre-temps.
Quinze minutes après leur arrivée au CHU de Yopougon, l’interne de garde fait savoir à BERNARD que son fils a rendu l’âme juste à leur arrivée aux urgences et qu’il y aurait eu une chance de le sauver s’ils étaient arrivés vingt minutes plus tôt.
Après avoir indiqué la ou les infraction(s) éventuellement commise(s) en l’espèce, veuillez déterminer le degré de participation de chacun des protagonistes et la ou les juridiction(s) devant laquelle ou lesquelles ils sont susceptibles d’être jugés.
CORRIGE
INTRODUCTION
Ø Bref résumé des faits
Ø Qualification juridique des faits = Le cas pratique est relatif à l’infraction et son auteur.
Ø Les problèmes de droit = Les problèmes posés sont ceux de la détermination des infractions commises, du degré de participation des différents protagonistes et des juridictions compétentes. 1 point
I – LES INFRACTIONS COMMISES
1.1 Les coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner autrement appelés coups mortels
Le fait, pour les gendarmes, de battre PAUL à coups de ceinturons et jusqu’à ce qu’il perde connaissance, puis succombe à ses blessures peu de temps après, est constitutif de l’infraction qualifiée ‘’coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner’’ ou ‘’coups mortels’’, prévue par l’article 345-1°) du code pénal qui dispose que : « Quiconque, volontairement porte des coups ou fait des blessures ou commet toute autre violence ou voie de fait est puni : 1°) de l’emprisonnement de cinq à vingt ans, lorsque les coups portés et les blessures faites, même sans intention de donner la mort, l’ont pourtant occasionnée ; ».
1.2 L’omission de porter secours autrement appelée non assistance à personne en danger
Le fait, pour Monsieur CLEMENT, de refuser de prêter l’une de ses trois voitures pour transporter à l’hôpital PAUL, inanimé et mal en point, est constitutif de l’infraction d’omission de porter secours autrement appelée non assistance à personne en danger, prévue par l’article 352 alinéa 1 du code pénal.
En effet, ce texte dispose que : « Est puni d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 30.000 à 300.000 francs quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ni pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ».
Cette infraction est constituée dans la mesure où tous les témoins des faits ont vu l’état de PAUL et le péril sur sa vie.
II – LE DEGRE DE PARTICIPATION DES DIFFERENTS PROTAGONISTES
2.1 Les gendarmes
Les gendarmes ont battu PAUL à sang et jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Ils ont donc commis matériellement et personnellement les faits de coups et blessures volontaires. PAUL ayant succombé à ses blessures quelques temps après, il est incontestable que ce sont les coups à lui portés qui ont ainsi occasionné sa mort. Dès lors, les gendarmes sont auteurs de l’infraction de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner autrement appelée coups mortels, prévue et punie par l’article 345-1°) du code pénal.
NB : Les sous-officiers gendarmes ne peuvent pas valablement invoquer le commandement de l’autorité légitime en excipant de la qualité d’ancien Adjudant-chef de la gendarmerie de BERNARD dans la mesure où celui-ci n’est pas, pour eux, une autorité légitime.
2.2 BERNARD, le père de PAUL
BERNARD a demandé aux trois sous-officiers de gendarmerie de ‘’donner une bonne correction’’ à son fils PAUL. Pour les décider et les motiver, il a mis en avant sa qualité d’ancien Adjudantchef de gendarmerie et leur a remis la somme de 50.000 F CFA comme récompense anticipée.
BERNARD a ainsi provoqué la bastonnade de son fils PAUL en usant notamment de don. Ce comportement tombe sous le coup de l’article 27-1°) du code pénal qui dispose que : « Est complice d’un crime ou délit, celui qui, sans prendre une part directe ou déterminante à sa réalisation : 1°) donne des instructions pour le commettre ou provoque à sa réalisation en usant de dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables ; ».
PAUL étant décédé des suites des coups portés par les gendarmes, à la demande de BERNARD, la responsabilité de celui-ci en tant que complice, qui était déjà engagée pour les faits de coups et blessures volontaires, l’est, en définitive, pour ceux de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner autrement appelés coups mortels.
2.3 Monsieur PROSPER a-t-il commis une infraction ?
Monsieur PROSPER, l’un des nombreux badauds ameutés par les cris qui sortaient de la maison de BERNARD a vu s’enfuir PAUL, poursuivi par des gendarmes criant ‘’au voleur’’, s’est lancé à sa poursuite, l’a rattrapé et l’a tenu pendant que les gendarmes le bastonnaient.
Monsieur PROSPER qui a ainsi ‘’aider’’ les gendarmes à maîtriser PAUL pourrait-il être poursuivi comme coauteur ou complice de l’infraction de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner autrement appelée coups mortels dont se sont rendus coupables lesdits gendarmes ?
L’article 26 du code pénal qui envisage la coaction dispose, en son alinéa 1er que : « Est coauteur d’une infraction, celui qui, sans accomplir personnellement le fait incriminé, participe avec autrui et en accord avec lui à sa réalisation ». L’article 27 du même code prévoit, pour sa part, que : « Est complice… : []
3°) aide ou assiste en connaissance de cause, directement ou indirectement, l’auteur ou un coauteur de l’infraction dans les faits qui la consomment ou la préparent ».
Il se révèle clairement de ces deux textes que pour qu’une coaction ou une complicité soit réalisée à la charge d’un individu, il est indispensable que sa ‘’participation’’ aux faits procède d’un concert frauduleux avec l’auteur desdits faits ou l’(es) autre(s) intervenant(s).
En l’espèce, le cas n’évoque ni ne laisse croire que Monsieur PROSPER connaissait la réalité des faits, lui qui, comme tous les autres badauds, pouvait légitimement croire que les gendarmes étaient à la poursuite d’un ‘’vrai’’ voleur et avait, par son action, prêté main forte aux forces de l’ordre.
Surtout qu’au travers de l’article 72 du code de procédure pénale, la loi, en cas d’infraction flagrante punie d’une peine d’emprisonnement, donne qualité à toute personne d’en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche.
En conséquence, ni la coaction ni la complicité ne peut être retenue contre Monsieur PROSPER.
2.4 Monsieur CLEMENT
Monsieur CLEMENT a catégoriquement refusé de prêter l’une de ses trois voitures pour conduire PAUL à l’hôpital alors que, témoin des faits, il voyait le sale état de celui-ci et le péril sur sa vie (il a dit que ses voitures n’étaient pas des ambulances).
En refusant dédaigneusement alors que prêter l’une de ses voitures ne présentait aucun danger ni aucune incommodité pour lui (il possède trois voitures), il s’est rendu coupable, à titre d’auteur, de l’infraction d’omission de porter secours autrement appelée non assistance à personne en danger et c’est son refus et le temps mis (quarante-cinq minutes) pour trouver un taxi acceptant de prendre PAUL ensanglanté à son bord qui n’ont pas permis de recevoir à temps ce dernier aux urgences du CHU de Yopougon et de le sauver (l’interne de service a dit que PAUL aurait été sauvé s’il avait été reçu aux urgences vingt minutes plus tôt).
III – LES JURIDICTIONS COMPETENTES
3.1 Pour juger les faits de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner autrement appelés coups mortels
Ces faits sont constitutifs de crime.
En conséquence, les trois sous-officiers de gendarmerie et BERNARD seront jugés par la Cour d’Assises siégeant à Abidjan.
3.2 Pour juger les faits d’omission de porter secours
S’agissant d’un délit, Monsieur CLEMENT sera jugé par le tribunal de première instance de Yopougon qui est territorialement compétent dans la mesure où les faits se sont produits dans la commune de Yopougon.
NB : En cas de non disjonction de la procédure, tous les protagonistes vont être envoyés devant la Cour d’Assises d’Abidjan par la Chambre d’accusation et y être jugés, en vertu de la plénitude de juridiction.
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