L’ACTE D’ADMINISTRATION DANS L’INFRACTION D’ADMINISTRATION DE SUBSTANCE NUISIBLE
- Bléa Alban
- 12 mars
- 4 min de lecture
L’article 385 du Code pénal ivoirien réprime l’administration volontaire d’une substance nuisible à la santé, occasionnant à autrui une maladie, une incapacité de travail ou une infirmité permanente. Cet article distingue plusieurs niveaux de gravité selon les conséquences de l’acte et prévoit des peines aggravées lorsque l’infraction est commise sur des proches (ascendants, conjoints, etc.). L’un des éléments clés de cette infraction est l’acte d’administration, qui fait l’objet d’une interprétation large par la jurisprudence. Ce développement explore cette notion, ses modalités et son appréciation par les juges.
1. Définition de l’acte d’administration
Selon le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu, l’administration est l’« action de faire absorber une substance à autrui » (CORNU, Vocabulaire juridique, 7e éd., 2007, PUF, p. 30). Cependant, cette définition est réductrice dans le contexte de l’infraction d’administration de substance nuisible. En effet, l’administration peut prendre diverses formes selon la nature de la substance et le mode d’absorption.
Modes d’administration :
Ingestion : absorption par voie orale (solides, liquides).
Injection : introduction dans le corps par voie intraveineuse ou intramusculaire.
Inhalation : absorption par les voies respiratoires (gaz, vapeurs).
Exposition : contact cutané ou exposition à des rayonnements.
2. Appréciation large de l’acte d’administration
La jurisprudence apprécie l’acte d’administration avec une grande souplesse, conformément à la formulation de l’article 385, qui réprime l’administration « de quelque manière que ce soit ». Cette approche large permet de couvrir une variété de situations où une substance nuisible est introduite dans l’organisme d’autrui, directement ou indirectement.
a) Administration directe ou indirecte
Les juges ont étendu la notion d’administration à des situations où la substance est remise à la victime avec des instructions pour son usage, même en l’absence de l’auteur au moment de l’absorption.
Exemple : Dans l’affaire Falissard-Candol (Montpellier, 6 décembre 1869, DP 1870. 2. 179), la remise de poudre de Cantharide accompagnée de conseils pour son usage a été considérée comme une administration au sens de l’infraction.
b) Administration par exposition
L’administration peut également résulter d’une exposition à une substance nuisible, sans contact direct avec la victime.
Exemple : Dans l’affaire TGI Cherbourg, 31 mars 1981 (D. 1981. 536, note Mayer ; RSC 1982. 119, obs. Levasseur), l’exposition à des ondes radioactives a été qualifiée d’administration de substance nuisible.
c) Administration par relations sexuelles
La jurisprudence a également retenu l’administration de substances nuisibles dans le cadre de relations sexuelles, notamment en cas de transmission volontaire du virus VIH.
Exemple : Crim. 10 janvier 2006, n° 05-80.787 (Bull. crim. n° 11 ; D. 2006. Somm. 1652, obs. Mirabail ; RPDP 2006. 401, obs. Saint-Pau ; Dr. pénal 2006, n° 30, obs. Véron ; RSC 2006. 321, obs. Mayaud).
Cependant, en droit pénal ivoirien, une disposition spéciale réprime spécifiquement la transmission du VIH (Loi n°2014-430 du 14 juillet 2014 portant régime de prévention, de protection et de répression en matière de lutte contre le VIH et le SIDA).
d) Administration par morsures
Bien que non encore explicitement retenue dans le cadre de l’article 385, l’administration par morsures pourrait être envisagée, notamment en cas de transmission de substances nuisibles par la salive.
Référence : T. corr. Mulhouse, 6 février 1992 (D. 1992. 301, note Prothais ; RSC 1992. 750, obs. Levasseur).
3. Illustrations jurisprudentielles
La jurisprudence française offre plusieurs exemples d’application large de la notion d’administration :
Dilution de substances : Dans l’affaire Crim. 14 juin 1995, n° 94-83.025 (Bull. crim. n° 218 ; Dr. pénal 1995, n° 217, note Véron), l’utilisation d’une seringue pour diluer du valium dans des bouteilles d’eau minérale a été qualifiée d’administration.
Transmission de maladies : Les décisions relatives à la transmission volontaire du VIH illustrent l’extension de la notion d’administration à des contextes non traditionnels (Crim. 10 janvier 2006, précité).
Exposition à des substances nocives : L’exposition à des rayonnements ou à des produits chimiques est également couverte par l’infraction (TGI Cherbourg, 31 mars 1981, précité).
4. Analyse doctrinale
La doctrine souligne que l’interprétation large de l’acte d’administration permet de répondre à des situations variées et complexes, notamment dans le contexte des avancées scientifiques et technologiques. Cependant, cette approche peut poser des questions de délimitation précise de l’infraction, notamment en ce qui concerne la preuve de l’intention et du lien de causalité entre l’acte d’administration et les conséquences subies par la victime.
Références doctrinales :
CORNU, Vocabulaire juridique, 7e éd., 2007, PUF.
MAYER, Note sur la jurisprudence, D. 1981.
VÉRON, Note sur la jurisprudence, Dr. pénal 1995.
Conclusion
L’acte d’administration dans l’infraction d’administration de substance nuisible est apprécié de manière large par la jurisprudence, couvrant une variété de modes d’absorption et de contextes. Cette approche permet de réprimer efficacement des comportements dangereux pour la santé d’autrui, tout en s’adaptant aux évolutions scientifiques et sociales. Cependant, elle nécessite une analyse rigoureuse des éléments constitutifs de l’infraction, notamment l’intention de l’auteur et le lien de causalité entre l’acte et ses conséquences. Les références jurisprudentielles et doctrinales citées illustrent la richesse et la complexité de cette notion en droit pénal.
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