L’article 7 al 1er du CPP dispose que « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention, appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l’infraction »
En effet l’infraction ne cause pas que des dommages à la société dont elle trouble l’ordre public. Elle porte également atteinte aux personnes privées. Aussi la loi leur donne t-elle la possibilité d’obtenir réparation du préjudice qu’elles ont subi du fait de l’infraction.
L’action civile peut être exercée indifféremment devant la juridiction pénale et devant la juridiction civile. Mais l’action civile n’a pas en principe vocation à s’exercer devant les juridictions pénales. Son domaine naturel c’est la juridiction civile puisqu’il s’agit avant tout d’une action en réparation de dommage.
Une telle action est soumise aux règles de droit civil et les magistrats les plus aptes à appliquer ces règles sont ceux des tribunaux civils.
Cependant le fait que le dommage à réparer soit né de l’infraction, il est admis que l’action civile en réparation puisse être exercée aussi bien devant les juridictions pénales. Nous analyserons donc l’exercice de l’action civile devant les juridictions pénales et l’exercice de l’action civile devant les juridictions civiles.
I- L’exercice de l’action civile devant les juridictions pénales
C’est l’article 8 al 1er du CPP qui en admet le principe de l’exercice de l’action civile devant les juridictions pénale. Ce texte déclare en effet que « L’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique devant la même juridiction ».
La juridiction dont il s’agit ici ne peut être que la juridiction pénale puisque l’action publique pour l’application des peines ne peut être exercée devant une juridiction autre que la juridiction répressive.
L’exercice de l’action civile devant les juridictions pénales soulève deux préoccupations. Comment cela va-t-il se faire ?et quelles seront les règles applicables à cette action ?
A- Les modes d’exercice de l’action civile devant les juridictions pénales
Ces modes varient suivant que l’action civile est exercée devant les juridictions d’instruction ou devant les juridictions de jugement.
1- L’exercice de l’action civile devant les juridictions d’instruction
a- La plainte avec constitution de partie civile
Devant les juridictions d’instruction et particulièrement devant le juge d’instruction l’action civile est exercée au moyen d’une plainte avec constitution de partie civile.
En effet l’article 106 du CPP indique que toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction.
La constitution de partie civile consiste pour la victime à déclarer expressément devant le juge qu’elle a subi un dommage du fait de l’infraction et qu’elle souhaite en obtenir réparation.
Ce qu’il faut noter ici c’est que pour exercer l’action civile la victime est obligée de mettre en mouvement l’action publique puisqu’elle doit d’abord porter plainte (article 106 du CPP). Ceci résulte du bout de phrase « en portant plainte ». Enfin la constitution de partie civile peut intervenir à tout moment de l’instruction.
b- Le paiement d’une consignation
La partie lésée par l’infraction qui désire se constituer partie civile devant le juge d’instruction doit s’acquitter du paiement d’une consignation.
Cela résulte des dispositions de l’article 109 alinéa 1er du CPP qui déclare que « La partie civile qui met en mouvement l’action publique doit, si elle n’a obtenu l’assistance judiciaire, et sous peine de non recevabilité de sa plainte, consigner au greffe la somme présumée nécessaire pour les frais de la procédure. Cette somme est fixée par ordonnance du juge d’instruction. »
L’exercice de l’action civile devant le juge d’instruction étant lié à celui de l’action publique, la consignation payée par la partie lésée vaut pour les deux actions.
Il faut indiquer pour terminer que la recevabilité de la constitution de partie civile de la victime de l’infraction n’est pas automatique. Elle peut être contestée aussi bien par le ministère public, par l’inculpé lui-même que par une autre partie civile. (Article 108). C’est pourquoi le juge d’instruction doit statuer sur cette recevabilité par ordonnance après avoir soumis la demande au Ministère Public. (Article 108 alinéa 3).
2- L’exercice de l’action civile devant les juridictions de jugement
Ici également l’action civile s’exerce au moyen d’une constitution de partie civile. Cependant cette déclaration se fait suivant que la partie lésée se trouve devant un tribunal correctionnel ou de simple police, une cour d’appel ou une cour d’assises.
a- La constitution de partie civile devant le tribunal correctionnel ou de simple police
C’est l’article 428 du Code de Procédure Pénale qui prévoit cette possibilité devant le tribunal correctionnel ou de simple police. Il dispose que toute personne qui prétend avoir été lésée par un délit peut, si elle ne l’a déjà fait se constituer partie civile à l’audience même.
En effet la victime de l’infraction a la possibilité de faire sa constitution de partie civile soit avant l’audience sur l’action publique soit au cours de celle-ci.
Si elle est faite avant l’audience, la déclaration de constitution de partie civile doit être déposée au greffe de la juridiction saisie. Elle devra alors préciser l’infraction poursuivie et contenir élection de domicile dans le ressort du tribunal saisi, à moins que la victime n’y soit déjà domiciliée. (Article 429 et 430 du CPP)
Si la victime décide de le faire à l’audience, alors la déclaration de partie civile est recueillie à la barre et consignée par le greffier au plumitif de l’audience. Mais elle peut aussi le faire par conclusions d’avocat déposées à la barre du tribunal. (Article 430 précité). La déclaration dans les deux cas peut intervenir jusqu’au prononcé du jugement sur le siège ou la mise en délibérée de l’affaire. (Article 431 al 1er du CPP)
Mais il faut préciser que l’assistance d’un avocat n’est pas obligatoire pour se constituer partie civile (article 435 et suivants).
b- La constitution de partie civile devant la Cour d’appel et le tribunal criminel
La victime de l’infraction ne peut pas se constituer partie civile pour la première fois devant la cour d’appel. Elle doit l’avoir d’abord fait devant le tribunal correctionnel. Faute de quoi sa constitution de partie civile sera considérée comme une demande nouvelle.
En effet la Cour d’appel étant une juridiction supérieure qui statue en cause d’appel et en dernier ressort, la demande de partie civile doit avoir d’abord été examinée par le premier juge.
Ce n’est que si la décision du premier juge n’a pas donné satisfaction à la victime de l’infraction (elle a été déboutée ou déclarée partiellement fondée) qu’elle pourra interjeter appel. Mais sur les dispositions civiles du jugement.
La constitution de partie civile peut dès lors se faire soit avant soit au cours de l’audience de la cour d’appel, par déclaration ou conclusions écrites.
L’exercice de l’action civile devant le tribunal criminel suit un formalisme assez particulier. En effet la déclaration de constitution de partie civile est faite par la victime de l’infraction à l’audience du tribunal criminel composé des magistrats et des jurés.
La cour prend acte de cette constitution de partie civile mais statue d’abord sur l’action publique. Puis elle suspend l’audience et revient pour statuer sur l’action civile. Mais cette fois sans l’assistance des jurés.
L’absence des jurés au cours du jugement de l’action civile s’explique par l’application des règles de droit civil et de procédure civile.
En effet le code de procédure civile ne prévoit pas la présence de jurés devant les juridictions civiles. Or lorsque la juridiction pénale statue sur l’action civile elle doit le faire en application des règles de droit civil. D’où le retrait des jurés de l’audience au moment du jugement de l’action civile.
Ce qu’il faut noter pour conclure c’est que devant les juridictions de jugement la victime n’a pas besoin de mettre en mouvement l’action publique avant d’exercer son action en réparation. Elle profite de la saisine du tribunal par le ministère public pour faire valoir ses prétentions.
B- Les règles applicables à l’action civile exercée devant les juridictions répressives
L’article 8 alinéa 4 du CPP fait savoir que lorsque l’action civile est exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction, la responsabilité s’apprécie conformément aux dispositions du Code civil relatives aux délits et quasi-délits.
Cela signifie que l’action civile même exercée devant la juridiction pénale s’apprécie selon les règles de droit civil. Ces règles concernent aussi bien les parties à l’action civile que la réparation du dommage causé par l’infraction. Pour ce qui est de la procédure, ce sont les règles du code de procédure civile qui s’appliquent.
1- L’application des règles du code de procédure civile aux parties à l’action civile née de l’infraction
Les parties à l’action civile sont le demandeur et le défendeur. Au regard du code de procédure civile ceux-ci doivent réunir un certain nombre de conditions.
a- Les conditions requises chez le demandeur à l’action civile
Comme le stipule l’article 3 du Code de procédure civile l’action civile n’est recevable que si le demandeur justifie d’un intérêt légitime, juridiquement protégé, directe et personnel, à la qualité pour agir en justice, possède la capacité pour agir en justice.
La personne qui prétend avoir souffert d’un dommage causé par l’infraction doit donc réunir toutes ces conditions afin que son action en réparation soit déclarée recevable par la juridiction répressive. Mais encore faut-il que l’action soit dirigée contre la personne idoine.
b- Les conditions requises chez défendeur à l’action civile
L’action civile est d’abord dirigée contre ceux qui ont causé le dommage. C'est-à-dire les auteurs, coauteurs et complices de l’infraction.
Cependant, si ces personnes sont décédées, l’action peut être engagée contre leurs héritiers. Par ailleurs les personnes civilement responsables des participants à l’infraction peuvent également être poursuivies en réparation.
Toutes ces possibilités résultent du fait qu’en matière civile la responsabilité n’est pas uniquement personnelle. Elle peut dans certains cas s’étendre à d’autres personnes.
2- L’application des règles de la responsabilité civile
Le juge pénal applique les règles de la responsabilité civile lorsqu’il est saisi d’une action civile et particulièrement d’une action en réparation du dommage causé par l’infraction.
Les règles de la responsabilité civile pour faute (article 1382 du C.civ) mais aussi celle de la responsabilité du fait des choses. L’article 8 alinéa 5 du CPP le précise bien en déclarant que « le juge répressif saisi d’une action civile pour homicide ou blessures involontaires peut, en cas de relaxe du prévenu, accorder sur leur demande des dommages intérêts aux parties civiles par application de l’alinéa premier de l’article 1384 du Code civil. »
II- L’exercice de l’action civile devant les juridictions civiles
L’article 9 alinéa 1 note que « L’action civile peut être aussi exercée séparément de l’action publique »
Nous déduisons de ce texte que si l’action civile peut être exercée séparément de l’action publique cela ne peut se faire que devant les juridictions civiles. Cependant l’exercice de l’action civile devant les juridictions civiles se fait à deux conditions non cumulatives.
La première est que l’action publique soit toujours en vigueur, c'est-à-dire qu’elle ne soit pas éteinte notamment par prescription. Car, en cas de prescription de l’action publique, l’action civile ne peut plus être exercée sauf si elle l’avait déjà été avant que la prescription de l’action publique n’intervienne.
La seconde condition est que l’action civile ne sera pas jugée immédiatement tant qu’il n’aura pas été statué sur l’action publique. Cela résulte de l’alinéa 2 de l’article 9 qui dit : « Toutefois il est sursis au jugement de cette action devant la juridiction civile tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur, l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. »
La règle du sursis à statuer va donc faire obstacle à l’examen de l’action civile née de l’infraction par la juridiction civile. Mais on peut observer que la victime a le choix entre exercer son action civile devant une juridiction répressive ou le faire devant le juge civil. En quels termes se pose ce choix ?
III- Le droit pour la victime de l’infraction de choisir la juridiction pénale ou la juridiction civile ou droit d’option
La victime de l’infraction dispose en effet d’un véritable droit d’option pour l’exercice de son action civile. Toutefois ce droit est soumis pour son exercice à certaines conditions.
A- Les conditions d’exercice du droit d’option
Si la partie lésée par l’infraction a le choix entre la juridiction pénale et la juridiction civile pour engager son action en réparation, ce choix n’est pas tout à fait libre. Il suppose la réunion de certaines conditions dont les principales sont :
1- L’ouverture concurrente de la voie civile et de la voie pénale
Pour qu’il y ait choix il faut au moins deux possibilités. S’il n’existe qu’une seule possibilité le choix ne peut se faire. C’est dire que la partie lésée par l’infraction ne peut valablement exercer son droit d’option si les juridictions civiles et les juridictions pénales ne sont pas prêtes à recevoir en même temps son action.
Si l’une d’elles est fermée à l’action civile il n’ya plus de choix. La victime ne peut donc exercer son droit d’option. Il existe des cas où l’action civile ne peut pas être exercée devant la juridiction pénale. Dans ce cas seule la voie civile reste ouverte et la victime de l’infraction n’a pas d’autre choix que de l’emprunter.
Par exemple en droit français l’action en réparation du dommage causé par le délit de diffamation ne peut être exercée que devant les juridictions pénales. La voie civile est ainsi fermée à la victime qui ne peut saisir que les juridictions répressives.
2- L’existence d’un lien de cause à effet entre le dommage et l’infraction
La juridiction pénale ne peut pas recevoir l’action civile en réparation d’un dommage qui n’a pas été causé par une infraction. Elle reste donc fermée à une telle action qui ne peut s’exercer que devant une juridiction civile.
La victime dudit dommage n’a alors d’autres choix que de saisir la juridiction civile. Par exemple à la suite d’un contrat de dépôt une personne remet en dépôt son bien à une autre avec possibilité de restitution en cas de besoin. Cependant lorsque le déposant sollicite du dépositaire la restitution de la chose déposée il constate que ce dernier l’a détourné. Il y’a délit d’abus de confiance qui cause un préjudice au déposant.
Mais au moment de demander réparation du préjudice subi devant le juge pénal, il fonde son action civile non pas sur l’acte de détournement qui constitue l’infraction, mais plutôt sur la violation du contrat par le dépositaire. Cette action sera déclarée irrecevable parce que n’ayant pas pour fondement l’infraction.
La demande en réparation doit toujours avoir un lien avec l’infraction poursuivie.
3- La non extinction de l’action publique
L’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction ne peut être exercée devant la juridiction pénale que si l’action publique elle-même existe, c'est-à-dire n’est pas éteinte, notamment par prescription.
Car si elle est éteinte avant même d’avoir été jugée la voie pénale se trouve fermée par sa disparition puisqu’ elle est l’objet principal du procès pénal ; L’action civile n’étant que l’objet accessoire.
Cependant si l’action publique a été engagée devant la juridiction pénale avant son extinction, l’action civile peut être exercée et continuée devant la même juridiction malgré cette extinction.
B- Les conséquences de l’option
Le choix fait par la victime de l’infraction pour exercer son action en réparation est lourd de conséquence car il est en principe irrévocable. Cependant cette irrévocabilité connait quelques atténuations.
1- Le principe de l’irrévocabilité de l’option
L’article 10 alinéa 1 du CPP est le texte qui affirme l’irrévocabilité de l’option en ces termes « La partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive »
Cette règle est tirée de la maxime « electa una via datur recursus da alteram ». Elle est fondée sur l’idée qu’il faut éviter de promener le prévenu d’une juridiction à une autre.
Toutefois elle connaît quelques atténuations.
2- Les atténuations au principe de l’irrévocabilité de l’option
Le principe de l’irrévocabilité de l’option connait deux atténuations importantes, l’une légale et l’autre jurisprudentielle.
a- L’atténuation légale
C’est celle qui est prévue par l’alinéa 2 du même article 10 précité et qui déclare s’agissant de l’irrévocabilité du choix de la voie civile que « il n’en est autrement que si celle-ci a été saisie par le ministère public avant qu’un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile »
Autrement dit si la victime a saisi la juridiction civile compétente de sa demande en réparation elle ne peut plus revenir devant la juridiction pénale pour la saisir de la même demande. Sauf si la juridiction pénale a déjà été saisie par le ministère public et que la juridiction civile saisie également ne s’est pas encore prononcée sur l’action civile.
Nous en concluons que le changement de juridiction peut s’opérer de la voie civile vers la voie pénale. Mais pas le contraire. C'est-à-dire que la victime de l’infraction ne peut saisir la juridiction pénale de son action puis se raviser et la porter devant la juridiction civile. A moins qu’elle ne soit pas fondée sur l’infraction.
b- L’atténuation jurisprudentielle
La jurisprudence a trouvé de nombreuses atténuations à la règle de l’irrévocabilité de l’option à cause de sa rigueur qui peut être préjudiciable à la victime.
Parmi ces atténuations jurisprudentielles nous ne retiendrons que deux.
Tout d’abord celle selon laquelle la victime de l’infraction peut toujours revenir sur son choix si elle a saisie de son action une juridiction civile qui n’est pas compétente. Elle pourrait alors revenir sur son choix et saisir la juridiction pénale
Ensuite la jurisprudence estime que la victime peut revenir sur son choix de l’option civile si elle ignorait que le fait qui lui a causé un dommage était constitutif d’une infraction pénale.
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