QUE SAVOIR DE LA SUBSTANCE NUISIBLE DANS L’INFRACTION D’ADMINISTRATION DE SUBSTANCE NUISIBLE ?
- Bléa Alban
- 18 mars
- 4 min de lecture
L’article 385 du Code pénal ivoirien réprime l’administration volontaire d’une substance nuisible à la santé, occasionnant à autrui une maladie, une incapacité de travail ou une infirmité permanente. L’un des éléments essentiels de cette infraction est la substance nuisible, dont la définition et l’appréciation soulèvent des questions complexes. Ce développement explore la notion de substance nuisible, son appréciation par les juges, les critères retenus par la jurisprudence et les débats doctrinaux qui l’entourent.
1. Définition de la substance nuisible
Le Code pénal ivoirien ne définit pas explicitement la notion de substance nuisible. Cependant, il ressort de la jurisprudence et de la doctrine que cette notion recouvre toute substance de nature à porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, sans nécessairement être mortelle. Cette distinction est importante, car elle permet de différencier l’infraction d’administration de substance nuisible de l’empoisonnement, qui implique une substance mortifère.
Caractéristiques de la substance nuisible :
Atteinte à la santé : La substance doit être de nature à causer une maladie, une incapacité de travail ou une infirmité permanente.
Non-mortelle : La substance ne doit pas être de nature à donner la mort, bien que dans certains cas, une substance mortelle puisse être qualifiée de nuisible si elle est administrée sans intention de tuer.
2. Appréciation du caractère nuisible
Le caractère nuisible d’une substance doit être constaté objectivement par les juges, indépendamment des croyances ou intentions de l’auteur. Cette appréciation se fait in abstracto, c’est-à-dire en fonction des effets de la substance sur un individu moyen, et non en tenant compte des particularités physiques de la victime.
a) Appréciation in abstracto
L’appréciation in abstracto signifie que les juges doivent déterminer si la substance est nuisible en elle-même, en se basant sur ses propriétés intrinsèques et ses effets potentiels sur une personne de santé normale.
Exemple : Si une personne administre une substance qu’elle croit nocive mais qui est en réalité inoffensive, l’infraction ne peut être retenue, car il manque l’élément matériel de la substance nuisible (Crim. 10 mai 1972, n° 72-90.497, Bull. crim. n° 164 ; D. 1972. 733, note D. S. ; RSC 1973. 902, obs. Levasseur).
b) Prise en compte des circonstances d’administration
Bien que l’appréciation soit in abstracto, les juges peuvent tenir compte des circonstances concrètes d’administration de la substance. Par exemple, une même substance peut être nuisible dans certaines conditions et mortelle dans d’autres.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 18 juillet 1952 (Bull. crim. n° 193 ; D. 1952. 667), l’administration de gaz phosgène a été qualifiée différemment selon les circonstances : empoisonnement lorsqu’il était mortel, et administration de substance nuisible lorsqu’il était accompagné d’un antidote.
3. Jurisprudence sur les substances nuisibles
La jurisprudence a reconnu comme substances nuisibles une grande variété de produits, y compris des substances chimiques, des médicaments, des drogues et même des virus.
Exemples de substances nuisibles retenues par la jurisprudence :
Acide chlorhydrique (Paris, 24 octobre 2008, RG n° 08/02126).
Whisky (administré à une fillette de deux ans, Paris, 14 janvier 2011, RG n° 09/08517).
Cannabis (cuit dans un gâteau d’anniversaire, Paris, 19 septembre 2012, RG n° 12/01906).
Gaz lacrymogène (Crim. 9 février 1933, Gaz. Pal. 1933. 1. 697).
Gaz phosgène (Crim. 18 juillet 1952, précité).
Radiations radioactives (TGI Cherbourg, 31 mars 1981, D. 1981. 536, note Mayer ; RSC 1982. 119, obs. Levasseur).
Poudre de Cantharide (Montpellier, 6 décembre 1869, DP 1870. 2. 179).
Ecstasy (Paris, 26 novembre 2008, RG n° 08/09460).
Somnifères et calmants (Crim. 30 mai 2006, n° 05-86.790 ; Paris, 26 avril 2013, RG n° 11/09318).
GHB (Paris, 18 janvier 2013, RG n° 12/03195).
Valium (Crim. 14 juin 1995, n° 94-83.025, Bull. crim. n° 218 ; Dr. pénal 1995, n° 217, note Véron).
Virus VIH (Crim. 10 janvier 2006, n° 05-80.787, Bull. crim. n° 11 ; D. 2006. Somm. 1652, obs. Mirabail).
4. Cas particuliers
a) Substances mortelles utilisées comme nuisibles
Dans certains cas, une substance mortelle peut être qualifiée de nuisible si elle est administrée sans intention de tuer. Par exemple, si l’auteur croit administrer une substance simplement nuisible mais qu’elle s’avère mortelle, l’infraction d’administration de substance nuisible peut être retenue.
Exemple : Si une personne administre une substance qu’elle croit nocive mais qui est en réalité mortelle, et que la victime décède, l’auteur peut être poursuivi pour administration de substance nuisible ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
b) Transmission du virus VIH
La transmission volontaire du virus VIH par relations sexuelles non protégées a soulevé des débats importants. La jurisprudence a retenu la qualification d’administration de substance nuisible plutôt que d’empoisonnement, car l’intention de tuer (animus necandi) fait défaut.
Références :
Crim. 10 janvier 2006, n° 05-80.787 (Bull. crim. n° 11 ; D. 2006. Somm. 1652, obs. Mirabail).
Colmar, 4 janvier 2005 (D. 2005. 1069, note Paulin).
Conclusion
La notion de substance nuisible dans l’infraction d’administration de substance nuisible est appréciée de manière large par la jurisprudence, couvrant une variété de produits et de situations. Cette approche permet de réprimer efficacement des comportements dangereux pour la santé d’autrui, tout en s’adaptant aux évolutions scientifiques et sociales. Cependant, elle nécessite une analyse rigoureuse des éléments constitutifs de l’infraction, notamment l’intention de l’auteur et le lien de causalité entre l’acte et ses conséquences. Les références jurisprudentielles et doctrinales citées illustrent la richesse et la complexité de cette notion en droit pénal.
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