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RESPONSABILITÉ. ANIMAUX. PROPRIÉTAIRE. USAGER. PRÉSOMPTION DE FAUTE

Tiré de DALLOZ


Civ. 27 octobre 1885

(DP 86. 1. 207, S. 86. 1. 33)

Montagnier c. Leydon

La responsabilité édictée par l’article 1385 du Code civil repose sur une présomption de faute imputable au propriétaire de l’animal qui a causé le dommage ou à la personne qui en faisait usage au moment de l’accident; et cette présomption ne peut céder que devant la preuve soit d’un cas fortuit, soit d’une faute commise par la partie lésée (C. civ., art. 1385).

 

Faits. — Sur le champ de foire de Guillestre, un mulet appartenant au sieur Leydon, en se vautrant contre un mur en détacha quelques pierres qui blessèrent, dans leur chute, un sieur Montagnier assis au pied de ce mur. Le tribunal d’Embrun condamna le sieur Leydon à payer à la victime la somme de 450 F, à titre de dommages-intérêts, en vertu de l’article 1385 du Code civil, mais ce jugement fut infirmé par un arrêt de la cour de Grenoble, du 30 juin 1882, ainsi conçu : « Attendu que les dispositions de l’article 1385 du Code civil ne dérogent pas à la règle de droit commun posée dans les articles 1382 et 1383 du même code; qu’en conséquence, il faut qu’il y ait eu faute, négligence ou imprudence de la part du propriétaire d’un animal ou de celui qui s’en sert, pour que la responsabilité, soit de l’un, soit de l’autre, se trouve engagée à raison des dommages que l’animal a causés; — Mais attendu qu’il n’est pas suffisamment établi dans la cause que l’accident dont a été victime le sieur Montagnier soit arrivé par la faute, la négligence ou l’imprudence de Leydon; … Réforme; déclare Montagnier mal fondé dans sa demande… ».

Le sieur Montagnier s’est pourvu en cassation.

Moyen. — Violation des articles 1382, 1383 et 1385 du Code civil, en ce que l’arrêt attaqué a déchargé le sieur Leydon de la condamnation prononcée contre lui par les premiers juges à titre de dommages-intérêts, bien qu’il fût constaté que l’accident dont Montagnier a été victime avait été causé par un mulet dont Leydon était propriétaire, et qui était sous sa garde lors de l’accident.

 

ARRÊT

La Cour;

— Vu l’article 1385 du Code civil;

— Attendu que la responsabilité édictée par ledit article repose sur une présomption de faute imputable au propriétaire de l’animal qui a causé le dommage ou à la personne qui en faisait usage au moment de l’accident;

— Que cette présomption ne peut céder que devant la preuve soit d’un cas fortuit, soit d’une faute commise par la partie lésée;

— Attendu, en l’espèce, qu’il est établi par les énonciations de l’arrêt attaqué que le dommage causé à Montagnier provenait de la chute de pierres qu’un mulet, appartenant à Leydon, et placé sous sa garde, avait fait rouler du sommet d’un mur, et qui avaient atteint Montagnier ;

— Attendu que, pour affranchir Leydon des conséquences de cet événement, la cour d’appel se borne à déclarer qu’il n’est pas démontré que l’accident dont Montagnier a été victime était arrivé par la faute, la négligence ou l’imprudence de Leydon, sans indiquer aucune des circonstances de nature à faire disparaître la responsabilité de ce dernier;

— En quoi elle a violé les dispositions de l’article 1385 citées par le pourvoi;

Par ces motifs, casse…

 

OBSERVATIONS

1            L’article 1385 du Code civil dispose : « Le propriétaire d’un animal ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ». L’arrêt ci-dessus tranche à son propos deux questions : l’article 1385 édicte-t-il une présomption ? Dans l’affirmative, quelle en est la force ?

 

I. — La présomption de faute

 

2                 Dans une opinion à laquelle s’était rallié l’arrêt de la cour de Grenoble déféré à la Cour de cassation, l’article 1385 se proposerait uniquement de définir la personne responsable des dommages causés par un animal, les articles 1382 et 1383 demeurant applicables pour déterminer quand cette personne serait responsable. En l’espèce, la garde du mulet n’ayant pas été confiée par son propriétaire à quelqu’un d’autre, seule la responsabilité de celui-ci pouvait être mise en jeu. Encore fallait-il qu’il eût commis une faute au sens des articles 1382 et 1383; or une telle faute n’avait pas été constatée par les juges du fond.

La Cour de cassation condamne cette interprétation de l’article 1385 :

« La responsabilité édictée par ledit article repose sur une présomption de faute imputable au propriétaire… ». C’est dire que le texte ne se borne pas à déterminer le responsable; il écarte en outre le droit commun des articles 1382 et 1383, la victime n’ayant pas à établir la faute du propriétaire de l’animal ou de la personne qui en faisait usage au moment de l’accident.

 

II. — Les moyens d’exonération

 

3                 Du moment qu’il y a une présomption, une présomption de faute selon la formule employée par la jurisprudence de cette époque, quelle en est la force ? Une telle présomption est-elle susceptible de la preuve contraire ? En dehors des cas visés par l’article 1352, alinéa 2, la force attachée à une présomption légale n’est irréfragable qu’autant que la loi exclut expressément la faculté de la détruire. Donc, bien que l’article 1385 ne le dise pas expressément, il faut décider que la présomption qu’il édicte peut être combattue par celui sur lequel elle pèse au moyen de la preuve contraire, du moment que la loi ne lui refuse pas cette faculté.

En quoi doit consister cette preuve contraire ? Le défendeur doit-il établir un fait à lui étranger, c’est-à-dire la faute de la victime, le fait d’un tiers ou le cas fortuit, qui a été la cause de l’accident; ou lui suffit-il de démontrer qu’il n’a commis lui-même aucune faute, qu’il a surveillé l’animal avec toute la diligence requise ? La doctrine s’est montrée généralement favorable à la première solution, plus sévère pour le maître de l’animal (H., L. J. Mazeaud et F. Chabas, t. II, 1er vol., no 534; Carbonnier, t. 4, no 250; Terré, Simler et Lequette, Les obligations, no 719; Starck, Roland et Boyer, Obligations, t. I, no 567; Flour et Aubert, Les obligations, vol. 2, no 289; Viney et Jourdain, Les conditions de la responsabilité, no 629; Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck, Les obligations, no 184; Bénabent, Les obligations, no 474). Mais entre les cours d’appel la question a été longtemps controversée.

 

4                 En l’espèce, l’arrêt attaqué avait déchargé de toute responsabilité le propriétaire de l’animal qui avait causé l’accident, non seulement parce qu’il n’était pas démontré par la victime que l’accident fût arrivé par la faute, la négligence ou l’imprudence du propriétaire de l’animal, mais encore parce que le propriétaire prouvait n’avoir commis aucune faute. Or la décision a été cassée non seulement du premier chef, comme on l’a vu, mais encore parce que la présomption de l’article 1385 « ne peut céder que devant la preuve, soit d’un cas fortuit, soit d’une faute commise par la partie lésée ou par un tiers » (v. Civ. 11 mars 1902, DP 1902. 1. 216, S. 1902. 1. 309; 29 mai 1902, DP 1903. 1. 614, S. 1902. 1. 310; Req. 16 nov. 1914 et 1er déc. 1914, DP 1916. 1. 192; Civ. 16 févr. 1956, D. 1956. 445, note R. Savatier, S. 1956. 6, JCP 1956. II. 9282, note P. Esmein; Civ. 2e, 1er avr. 1999, JCP 1999. II. 10218, note N. Reboul. Sur la prise en compte de l’acceptation des risques, v. Civ. 2e, 15 avr. 1999, JCP 2000. II. 10317, note D. Antoine).

Le gardien de l’animal n’est donc totalement exonéré que par la preuve d’un cas de force majeure, du fait d’un tiers ou d’une faute de la victime présentant un caractère irrésistible et imprévisible. La jurisprudence ultérieure a maintenu la solution, sauf à remplacer la présomption de faute par une présomption de responsabilité, voire une responsabilité de plein droit (Civ. 14 nov. 1956, D. 1957. 74, S. 1957. 85; 13 mars 1957, Gaz. Pal. 1957. 2. 228; 14 juin 1957, Gaz. Pal. 1957. 2. 86). La parenté entre les formules utilisées marque, au reste, l’alignement de la responsabilité du fait des animaux sur la responsabilité du fait des choses inanimées (infra, no 202) (pour une critique de cette solution, v. J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, thèse Limoges, éd. 1992, p. 23 s.). Aussi bien, la Cour de cassation a-t-elle fait application, en la matière, de la jurisprudence Desmares (infra, no 215) (Civ. 2e, 18 janv. 1984, Gaz. Pal. 1984. 1, pan. jur. p. 212, note Chabas, RTD civ. 1984. 724, obs. Huet) avant que l’abandon de celle-ci n’impliquât un retour aux solutions antérieures (infra, no 216).


Un auteur a souligné que l’évolution aurait pu être inverse : les animaux étant les choses les plus dangereuses à l’époque du Code civil, une interprétation a pari de l’article 1385 du Code civil aurait permis de faire l’économie de la jurisprudence Jand’heur (infra, no 202) (Carbonnier, t. 4, no 261).

L’avant-projet Catala qui renferme une clause générale de responsabilité du fait des choses (art. 1354) ne comporte pas de dispositions propres aux animaux. L’avant-projet Terré qui envisage la responsabilité du fait des choses en termes de délits spéciaux maintient, au contraire, une telle disposition (art. 21).

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