Sujet : L’Etat coïncide-t-il nécessairement avec la nation ?
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Sujet : L’Etat coïncide-t-il nécessairement avec la nation ?

La nation est le substrat psychologique, le ferment le plus puissant de la cohésion de l'Etat. On peut la définir comme un groupement humain dans lequel les individus se sentent unis les uns aux autres par des liens à la fois matériels et spirituels et se conçoivent comme différents des individus qui composent les autres groupements nationaux.

La nation existe dans l’Etat mais parfois on se demande si elle ne coïncide pas avec celui-ci.

La coïncidence Etat-Nation n'existe pas toujours. Une nation peut être écartelée entre plusieurs Etats (Kurdes, Arméniens, Peuls, Bantous, etc.) et des nations différentes peuvent être regroupées dans un Etat plurinational ou multinational (Inde, ancienne Yougoslavie ou l'ex URSS, la Suisse).

Si en Europe la nation est antérieure à l'Etat (I), l'apparition de nouveaux Etats sur la scène internationale à la suite des décolonisations renverse la dialectique en montrant que la coïncidence Etat-Nation n'est pas évidente (II).


I- L'antériorité de la nation

En Europe la nation préexiste à l'Etat. La nation était une réalité sociologique avant de prendre la consistance d'un Etat. Elle est le résultat d'un processus historique se développant et s'achevant avant la naissance de l'Etat. Celui-ci n'est apparu qu'en dernier lieu pour centraliser politiquement et juridiquement la nation. Dans cette perspective se pose la question de savoir si à toute nation peut et doit correspondre un Etat.

Le droit international semble apporter une réponse positive à travers le principe des nationalités. Ce principe selon lequel toute nation a droit à devenir un Etat a été lancé par Napoléon Bonaparte et repris par Napoléon III avant de recevoir une consécration internationale avec le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ou droit à l'autodétermination consacré par la charte des Nations Unies (art. 1, &2 et 55) et réaffirmé par la résolution du 14 décembre 1960 dite déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Au départ il s'agissait davantage d'un slogan idéologique que d'un principe juridique. Le droit des nations a été à la base de l' idéologie révolutionnaire a été propagé par la révolution française de 1789.

Sur le plan interne il conduit à admettre que l'origine du pouvoir réside dans la nation: c'est la doctrine de la souveraineté nationale.

Sur le plan international, elle conduit à affirmer que le premier droit de toute Nation est de se réaliser politiquement et juridiquement d'une façon intégrale, ce qui revient à dire que toute nation a droit à former un Etat. Un Etat ne pouvait comprendre qu'une seule nation. A chaque Nation "son" Etat et à chaque Etat "sa" Nation.

Bien que mis en application par le traité de Versailles 1919 avec la reconstitution de la Pologne et le démembrement de l'Autriche, ce principe n'a jamais pu devenir une "règle" de droit international ; les Etats se sont constitués au gré des rapports de force.

Au demeurant ce principe doit être manié avec beaucoup de précaution car sa généralisation pourrait conduire à méconnaître les facteurs géographiques, politiques et économiques qui doivent être respectés si on veut créer des Etats viables.


II- La postériorité de la nation

Les exemples des Etats-Unis d'Amérique et des nouveaux Etats issus du processus de décolonisation renversent le principe de l'antériorité de la Nation. En effet ces Etats ont été plaqués sur une réalité sociologique composée d'une mosaïque d'ethnies juxtaposées les unes aux autres mais non point intégrées.

Aux Etats-Unis, l'Etat a été fondé par la Constitution de 1787 alors que la Nation n'a été définitivement constituée que lorsque le Congrès a arrêté le flot d' immigration qui remodelait considérablement la collectivité nationale, c'est-à-dire au lendemain de la première guerre mondiale.

En Afrique L'Etat a été créé "clé en main" (A. Hauriou). Les Etats africains ont été délimités en fonction des frontières coloniales arbitrairement tracées sans aucune considération des unités linguistiques, culturelles, ethniques ou religieuses des groupements humains vivant sur les territoires coloniaux.

Il n'a donc pas de nation préexistante servant de support sociologique à l'Etat qui constitue une réalité. La logique est renversée car il revient à ces Etats de construire la Nation sur la base de la cohabitation de populations disparates mais partageant un minimum de sentiment et de comportement national.

La nation sera construite à partir de l' intégration de populations grâce à une longue "culturation" historique commune accélérée par la période nationalise de lutte anticoloniale. La nation une fois en place rétroagit en confortant l'Etat.


En définitive si dans certains cas la Nation a précédé l'Etat (Allemagne, Italie, Pologne, etc.), dans d'autres cas soit les deux sont concomitants et émergent en étroite symbiose (France, Grande-Bretagne) soit l'Etat a purement et simplement précédé la Nation (Etats issus de la décolonisation).


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