AFFAIRE :
ETAT DE COTE D’IVOIRE
C/
MONSIEUR K
Responsabilité – Responsabilité de l’Etat – Caractère dangereux de l’activité pour l’agent – Nécessité d’une faute de service (non) – Réparation des dommages.
La responsabilité de l’Etat peut être engagée sans qu’une faute de service soit établie, dès lors que le seul caractère dangereux de l’activité pour l’agent peut suffire à mettre en cause cette responsabilité. Il en est ainsi de l’intimé qui, au moment des faits, était un agent de l’Etat et les dommages subis l’ont été dans le cadre de l’exécution de ses fonctions, étant resté en poste et ayant refusé de faire sortir ses troupes pendant la période de troubles sociales.
LA COUR
Vu les pièces du dossier ;
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions ;
Vu les conclusions écrites du Ministère Public ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
DES FAITS, PROCEDURES ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par exploit en date du 26 Novembre 2009 comportant ajournement au 15 Janvier 2010, l’ETAT DE COTE D’IVOIRE a relevé appel du jugement n° 2259 rendu le 23 Juillet 2009 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan qui l’a condamné à payer à monsieur K la somme totale de 100 000 000 Francs ;
Il ressort des énonciations de la décision entreprise que lors du coup d’état de 1999, le Lieutenant-colonel K cantonnait ses troupes et refusait qu’elles participent à la réalisation du coup de force ; Il était arrêté et jeté en prison ou choqué et torturé il eu un accident cardio-vasculaire assorti d’une hémiplégie gauche ; Estimant être handicapé à vie et avoir manqué de soins malgré les multiples demandes formulées en ce sens auprès des autorités administratives et militaires compétentes en la matière, monsieur K saisissait le Tribunal de Première Instance d’Abidjan à l’effet de voir condamner l’ETAT DE COTE D’IVOIRE, le Ministère de la défense et l’Etat major des Forces Armées à lui payer les sommes de :
- 32 032 867 Francs représentant son salaire et son droit au logement du 1er Juin 2003 au 1er Novembre 2006,
- 80 000 000 Francs pour sa reconversion,
- 20 000 000 Francs à titre de dommages et intérêts pour tout préjudice souffert ;
- 20 000 000 Francs pour le suivi médical ;
Le Tribunal dans sa décision entreprise faisait partiellement droit à sa demande et condamnait l’ETAT DE COTE D’IVOIRE à lui payer la somme totale de 100 000 000 Francs répartie comme suit :
- 20 000 000 Francs au titre d’appareils et accessoires rendus nécessaire par l’infirmité du demandeur ;
- 60 000 000 Francs au titre du suivi médical ;
- 20 000 000 Francs à titre de dommages et intérêts ;
Et ce aux motifs d’une part qu’il a été mis à la retraite depuis l’année 2003 et ne pfeut donc réclamer de salaire à ce titre et d’autre part que la pension d’invalidité et d’inaptitude au service est une faculté laissée à la seule appréciation de l’ETAT ;
En cause d’appel l’ETAT DE COTE D’IVOIRE expose par le canal de maitre TAPE MANAKALE ERNEST Avocat à la Cour que les faits invoqués par monsieur K sont couverts par l’immunité dont a bénéficié tous les auteurs du coup d’état ;
Il fait valoir que la gratuité des soins résultant de la pension d’invalidité relève de structures spécialisées dotées de la personnalité morale à savoir la Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat et du Fond de Prévoyance Militaire ; Il ajoute que ce dernier ayant été mis à la retraite il appartenait à ces structures de le prendre en charge quant à son suivi médical ;
Il soutient que monsieur K ne prouve pas la faute qu’il aurait commise et qui justifierait sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts ;
Il sollicite l’irrecevabilité de l’action, l’infirmation de la décision entreprise et le débouté de monsieur K de son action ;
Monsieur K expose en réplique par le canal de maitre YEO MASSEKRO Avocat à la Cour qu’il a droit à une pension de retraite qui ne lui a pas été reversée du 1er Janvier 2003 au 1er Novembre 2006 et à une pension d’invalidité due aux blessures qu’il a subi des suites des tortures ; Il réclame à cet effet les sommes respectives de 32 032 867 Francs et 20 000 000 Francs au titre de soins et frais médicaux et appareillages dont il devait bénéficier ;
Il soutient que le militaire qui comme dans son cas est reconnu inapte au service peut bénéficier d’une aide à la reconversion ; Il sollicite la condamnation de l’ETAT à, lui payer la somme de 80 000 000 Francs à ce titre ;
Il ajoute que son état de santé s’est dégradé des suites du refus de l’Etat de le prendre en charge après qu’il ait refusé par patriotisme et loyauté de laisser ses troupes sortir lors du coup d’état; il sollicite la condamnation de l’Etat à lui payer la somme de 20 000 000 Francs ;
Il fait valoir que son état de santé nécessite un suivi médical dans des centres de santé spécialisés et des appareillages dont les coûts s’élèvent respectivement à la somme de 200 000 000 Francs et 20 000 000 Francs ; Il précise que sa mise à la retraite est intervenu après son incarcération et le traitement subi avant cette mise à la retraite est le fait de l’ETAT ; Il en conclut que son suivi médical est dès lors imputable à l’ETAT ;
Il sollicite la reformation de la décision entreprise et la condamnation de l’ETAT à lui payer les différentes sommes sollicitées ;
Le Ministère Public a conclu à la réformation de la décision et à la condamnation de l’ETAT DE COTE D’IVOIRE à lui payer la somme de 50 000 000 Francs au titre de la réversion ;
DES MOTIFS
EN LA FORME
Considérant que monsieur K a conclu ;
Qu’il y a lieu de statuer contradictoirement ;
Considérant que l’appel de l’Etat de COTE D’IVOIRE est conforme à la loi ;
Qu’il y a lieu de le recevoir ;
AU FOND
SUR LE BIEN FONDE DE L’APPEL
SUR LA RECEVABILITE DE L’ACTION DE MONSIEUR K DIRIGEE CONTRE L’ETAT DE COTE D’IVOIRE
Considérant qu’aux termes de l’article 132 de la Constitution Ivoirienne « il est accordé l’immunité civile et pénale aux membres du Comité National de Salut Public ( CNSP ) et à tous les membres des événements ayant entraîné le changement de régime intervenu le 24 décembre 1999 » ; Qu’il est constant que cette disposition établit une irresponsabilité quant aux conséquences des actes dommageables posés par les personnes composant le CNSP ou ayant collaboré avec elles ; Or considérant en l’espèce que la responsabilité mise en cause par monsieur K n’est pas celle des membres de la CNSP mais celle de l’ETAT DE COTE D’IVOIRE son employeur pour lequel il a subi dans le cadre de ses fonctions des sévices et des dommages ; Qu’il est constant que non seulement l’ETAT DE COTE D’IVOIRE personne morale de droit public, n’a pas été mentionné comme bénéficiant de cette immunité civile, mais aussi que sa responsabilité peut être engagée sans qu’une faute de service soit établie à son égard ; Qu’en effet le seul caractère dangereux de l’activité pour l’agent peut suffire à mettre en cause la responsabilité de l’ETAT ; Qu’en l’espèce monsieur K était au moment des faits un agent de l’ETAT et les dommages qu’il a subi l’ont été dans le cadre de l’exécution de ses fonctions, étant resté en poste et ayant refusé de faire sortir ses troupes pendant la période de troubles sociales ; Qu’il n’a dès lors pas à rapporter la preuve de la faute des membres du CNSP encore moins de celle de l’ETAT et l’immunité invoquée par l’ETAT pour se dédouaner est en conséquent inopérante ; Que c’est donc à juste titre que les Premiers Juges ont reçu l’appel de monsieur K et la décision sur ce point doit être confirmée ;
SUR LE PAIEMENT DES DIFFERENTES SOMMES
AU TITRE DE LA PRISE EN CHARGE DU SUIVI MEDICAL
Considérant qu’il est constant que monsieur K a subi des dommages qui lui ont occasionné une invalidité de 70 % essentiellement fondée sur une double hémiplégie à type hémiparésie gauche spastique importante et hémiparésie droit légère spastique ; Qu’il est constant que cette invalidité qui est due au manque de soins pendant son incarcération, a fait de monsieur K un invalide incapable de subvenir à ses besoins quotidiens ; Qu’en effet cette double paralysie ne lui permet qu’une fonctionnalité de son corps de 30 % le rendant nécessairement dépendant de l’aide extérieure ; Que cette invalidité dont il souffre est guérissable ou à tout le moins réductible et nécessite pour cela des soins spécialisés et une rééducation intensive ; Qu’un suivi médical s’impose donc et c’est à bon droit que les Premiers Juges l’ont ordonné ; Qu’il convient cependant de revaloriser la somme qui a été allouée à ce dernier et à la fixer à 160 000 000 Francs ;
- AU TITRE D’APPAREILS ET ACCESSOIRES
Considérant qu’il est constant que les séquelles décrites par les rapports médicaux en dates du 04 Mai 2001 et 16 Mai 2008 nécessitent un besoin d’appareillages et accessoires ; Qu’aux termes des articles 141 et 142 du Code de la Fonction Militaire « tout militaire bénéficiaire d’une pension d’invalidité a droit à la gratuité des soins, des appareillages et accessoires pour l’infirmité qui a justifié l’attribution de la pension » ; Que ces appareils étant fournis, réparés et remplacés aux frais de l’ETAT ,c’est à bon droit que les Premiers juges ont condamné ce dernier à payer la somme de 20 000 000 Francs réclamée par monsieur K ;
Qu’il y a également lieu de confirmer la décision entreprise sur ce point ;
- SUR LES DOMMAGES ET INTERETS
Considérant qu’il est constant que monsieur K était au service de l’ETAT de COTE D’IVOIRE lorsqu’il a été injustement incarcéré et abandonné en détention de sorte qu’il est à ce jour handicapé à 70 % ; Qu’il a manifestement subi un préjudice que ce dernier doit réparer par le paiement de dommages et intérêts que les Premiers Juges ont à bon droit fixé à la somme de 20 000 000 Francs ;
SUR L’APPEL INCIDENT
- SUR LE PAIEMENT DU SALAIRE ET DE SES ACCESSOIRES POUR LA PERIODE DU 1er JUIN 2003 AU 1er NOVEMBRE 2004
Considérant que monsieur K a été mis à la retraite anticipée depuis le 05 Mai 2003 ; Qu’il ne peut donc que faire valoir ses droits à la retraite et saisir les organismes en charges de ces services pour liquider lesdits droits ; Que n’ayant pas rapporté la preuve de l’intention de nuire et du refus de l’ETAT de les lui payer, il y a lieu de rejeter cette demande comme non fondée ;
- SUR L’AIDE A LA RECONVERSION
Considérant qu’aux termes de l’article 144 du Code de la Fonction Militaire « Le militaire titulaire d’une pension d’invalidité et définitivement reconnu inapte au service peut bénéficier d’une aide à la reconversion » ; Qu’il est constant que l’attribution de cette aide est laissée à l’appréciation discrétionnaire de l’ETAT qui ne peut dès lors être contraint à l’accorder ; Que c’est donc à bon droit que les Premiers juges ont rejeté ce moyen ; Qu’il y a également lieu de confirmer la décision sur ce point ;
SUR LES DEPENS
Considérant que l’ETAT de COTE D’IVOIRE succombe ; Qu’il y a lieu de le condamner aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant sur le siège, publiquement, contradictoirement, en matière administrative et en dernier ressort ;
Déclare l’ETAT de COTE D’IVOIRE et monsieur K recevables en leurs appels principal et incident respectifs relevés du jugement n° 2259 rendu le 23 Juillet 2009 par le Tribunal de Première Instance d’Abidjan ;
Dit l’ETAT de COTE D’IVOIRE mal fondé et l’en déboute ;
Dit monsieur K partiellement fondé ;
Reforme le jugement entrepris ;
Condamne L’ETAT de COTE D’IVOIRE à lui payer la somme de 160 000 000 Francs au titre de la demande de suivi médical ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Condamne l’ETAT de COTE D’IVOIRE aux dépens ;
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