ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ : L’OUVERTURE DES PROCÉDURES DE REDRESSEMENT JUDICIAIRE ET DE LIQUIDATION DES BIENS OHADA
L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), regroupant 17 États membres, a instauré un cadre juridique unifié pour favoriser la sécurité juridique et attirer les investissements en Afrique. L’Acte Uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif, révisé en 2015, constitue un pilier essentiel de cette harmonisation. Les articles 25 à 38 encadrent le redressement judiciaire et la liquidation des biens, deux mécanismes clés destinés à gérer les entreprises en cessation de paiements. Ces procédures cherchent à concilier la sauvegarde de l’activité économique, la protection des créanciers et les impératifs sociaux, dans un équilibre délicat mais nécessaire à la stabilité des marchés.
La cessation des paiements : un seuil critique et ses implications
Définition et portée
La cessation des paiements, définie à l’article 25 comme l’impossibilité pour une entreprise de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, marque un point de non-retour. Ce seuil déclenche une obligation légale : le débiteur doit déclarer sa situation sous 30 jours (art. 25). Ce délai vise à éviter l’aggravation du passif et les risques de fraude (ex. dissimulation d’actifs).
Sanctions en cas de non-déclaration : Le défaut de déclaration dans les délais expose les dirigeants à des sanctions pénales (p. ex., interdiction de gérer une entreprise) et peut entraîner une liquidation immédiate.
La complexité des documents requis : entre transparence et viabilité
Documents clés (art. 26) :
États financiers détaillés (bilan, compte de résultat, flux de trésorerie).
Inventaire physique et juridique des actifs (biens mobiliers, immobiliers, droits intellectuels).
Liste exhaustive des créanciers (montants dus, échéances) et des salariés (statuts, salaires impayés).
Rapport de gestion expliquant les causes des difficultés.
Le projet de concordat (art. 27) : Véritable plan de sauvetage, il doit inclure des mesures concrètes :
Restructuration de dettes (rééchelonnement, décote).
Cessions d’actifs non stratégiques.
Investissements nouveaux ou recapitalisation.
Exemple : Une PME manufacturière pourrait proposer de céder une filiale non rentable et de négocier une réduction de 40 % de sa dette avec ses principaux créanciers.
La pluralité des acteurs : un processus collégial et contrôlé
Initiatives et interventions (art. 28-31) :
Le débiteur : Obligation proactive de déclaration, sous peine de sanctions.
Les créanciers : Peuvent saisir le tribunal si le débiteur ne réagit pas, protégeant ainsi leurs intérêts.
Le ministère public : Veille au respect de l’ordre public économique et peut ordonner des enquêtes préliminaires.
Les représentants du personnel : Consultés lors des auditions, ils défendent les intérêts sociaux (ex. maintien des emplois).
Le juge-commissaire : Supervise la procédure, valide les décisions du syndic et arbitre les conflits.
Audience d’ouverture : Le tribunal examine la situation lors d’une audience contradictoire, où le débiteur, les créanciers et les salariés sont entendus. Cette collégialité limite les risques de partialité.
Redressement ou liquidation : des critères de décision rigoureux
Redressement judiciaire (art. 33) :
Conditions : Viabilité économique démontrée (marché porteur, compétitivité potentielle).
Outils : Concordat homologué par le tribunal, plan sur 2 à 5 ans.
Exemple de succès : Une entreprise agroalimentaire rwandaise a renégocié ses dettes et diversifié sa production, retrouvant sa rentabilité en 3 ans.
Liquidation des biens :
Déclenchée : En cas d’insolvabilité irrémédiable (actifs insuffisants, marché saturé).
Priorités : Rémunération des salariés (privilège de 1er rang), puis créanciers chirographaires.
Statistiques : Selon la CCJA, 60 % des procédures en zone OHADA aboutissent à une liquidation, reflétant des difficultés structurelles (accès au crédit, concurrence).
Formalités et garanties : un cadre procédural strict
Désignation des organes (art. 34-38) :
Syndic : Professionnel agréé, chargé de gérer l’entreprise (redressement) ou de liquider les actifs.
Publicité légale : Les décisions sont publiées au Registre du Commerce et dans des journaux d’annonces légales, affectant la réputation de l’entreprise mais garantissant la transparence.
Délais impératifs :
Fixation de la date de cessation des paiements dans les 3 mois.
Recours possibles sous 15 jours, limitant les contentieux prolongés.
Innovations récentes : Certains États (ex. Sénégal) digitalisent les dépôts de documents pour accélérer les procédures.
Conclusion
Le dispositif OHADA, bien que complexe, offre un cadre balisé pour gérer les entreprises en crise, combinant rigueur procédurale et flexibilité économique. Cependant, son efficacité dépend de la formation des praticiens (syndics, juges) et de l’adaptation aux réalités locales (accès aux financements, informalité économique). En instaurant un équilibre entre sauvegarde des entreprises et droits des créanciers, l’OHADA contribue à un environnement des affaires plus résilient, essentiel au développement économique africain.
Perspectives :
Harmonisation accrue avec les standards internationaux (ex. Législation de l’UNCITRAL).
Renforcement des mécanismes de prévention (alertes précoces, médiation).
Intégration des enjeux environnementaux dans les procédures (ex. Sauvegarde des entreprises « vertes »).
Par COULIBALY Elichama
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