LE DÉTOURNEMENT DANS L’INFRACTION D’ABUS DE CONFIANCE
- Bléa Alban
- 9 avr.
- 5 min de lecture
L’abus de confiance est une infraction qui consiste en un détournement, une dissipation ou une destruction de biens, fonds ou valeurs remis à une personne à charge de les restituer, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé. En Côte d’Ivoire, cette infraction est régie par l’article 467 du Code pénal ivoirien, qui réprime ces actes au préjudice d’autrui. Ce développement explore l’élément matériel de l’infraction, en particulier le détournement, ainsi que son appréciation par la jurisprudence et les cas particuliers qui en découlent.
1. Le cadre légal de l’abus de confiance
L’article 467 du Code pénal ivoirien définit l’abus de confiance comme le détournement, la dissipation ou la destruction de biens, fonds ou valeurs remis à une personne à charge de les restituer, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé. Cette infraction repose sur la violation d’une relation de confiance entre le propriétaire des biens et la personne à qui ils ont été remis.
*Présomption de détournement : Dès lors que la preuve de la remise des biens est rapportée, le détenteur est présumé les avoir détournés s’il ne peut les restituer, les représenter ou justifier leur usage prévu. Pour renverser cette présomption, il doit prouver que l’impossibilité de restitution n’a pas une origine frauduleuse.
2. L’élément matériel : le détournement
Le détournement est l’élément matériel central de l’abus de confiance. Il consiste en un acte positif par lequel le détenteur des biens remis à titre précaire les utilise de manière contraire à leur destination prévue, les aliène ou les dissipe, empêchant ainsi leur restitution.
a) Définition du détournement
Le détournement est caractérisé par tout acte frauduleux du détenteur des biens qui empêche le propriétaire d’exercer ses droits sur ces biens. Il peut s’agir d’une transgression de l’affectation des biens, d’une aliénation (vente, donation) ou d’une disparition des biens.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 24 mars 1969, n° 67-93.576 (Bull. crim. n° 127), la Cour de cassation a confirmé que le détournement est caractérisé par la non-restitution des biens remis à titre précaire, sans qu’une mise en demeure soit nécessaire.
b) Substance du détournement
Le détournement implique une interversion du titre, c’est-à-dire que le détenteur des biens se comporte comme un véritable propriétaire, privant ainsi le légitime propriétaire de ses droits.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 9 avril 1973, n° 72-93.372 (D. 1975. 258, note M. Delmas-Marty), la Cour de cassation a retenu que l’abus de confiance est caractérisé par tout acte frauduleux empêchant la restitution des biens.
3. Les formes de détournement
Le détournement peut prendre plusieurs formes, notamment l’usage abusif, le retard dans la restitution, le refus de restituer et l’impossibilité de restituer.
a) Usage abusif
L’usage abusif consiste à utiliser les biens remis à titre précaire de manière contraire à leur destination prévue. Cet usage devient pénalement répréhensible lorsqu’il est intentionnel et traduit une volonté de se comporter comme un propriétaire.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 6 juin 1996, n° 95-82.793 (Gaz. Pal. 1996. 2. 176), un gérant de SCI a été condamné pour avoir prélevé des fonds sociaux et les avoir versés sur son compte personnel.
b) Retard dans la restitution
Le retard dans la restitution des biens ne constitue pas en soi un détournement, sauf s’il est intentionnel et traduit une volonté frauduleuse de conserver les biens au-delà du terme convenu.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 23 mars 1987, n° 85-96.719 (Gaz. Pal. 1988. 1. Somm. 4), un organisateur d’exposition a été condamné pour avoir retardé la restitution de tableaux invendus malgré une mise en demeure.
c) Refus de restituer
Le refus de restituer les biens est un acte de détournement lorsqu’il est intentionnel et non justifié par un droit légitime, tel que la compensation ou le droit de rétention.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 17 novembre 1970, n° 68-93.582 (RSC 1971. 429), un agent d’affaires a été condamné pour avoir refusé de restituer des pièces de dossier dans le but d’obtenir des honoraires supplémentaires.
d) Impossibilité de restituer
L’impossibilité de restituer les biens peut constituer un détournement si elle résulte d’un acte volontaire et frauduleux, tel qu’une dissipation ou une destruction des biens.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 11 octobre 1994, n° 92-81.724 (Bull. crim. n° 323), un notaire a été condamné pour avoir détruit un compromis de vente dont il était dépositaire.
4. Appréciation par la jurisprudence
La jurisprudence a développé une interprétation large de l’infraction d’abus de confiance, en se focalisant sur l’intention frauduleuse du détenteur des biens.
a) Intention frauduleuse
L’intention frauduleuse est un élément essentiel de l’infraction. Elle se manifeste par la volonté du détenteur de se comporter comme un propriétaire des biens remis à titre précaire.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 19 février 1990, n° 89-82.783 (Bull. crim. n° 80), la Cour de cassation a confirmé que le seul défaut de restitution ne suffit pas à caractériser l’intention frauduleuse.
b) Preuve du détournement
La preuve du détournement repose sur des éléments concrets, tels que des actes positifs de dissipation, d’aliénation ou de destruction des biens. La jurisprudence admet également des présomptions de fait pour établir l’intention frauduleuse.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 15 octobre 1990, n° 89-83.299 (Dr. pénal 1991. Comm. 12), la Cour de cassation a rappelé que la seule constatation de l’absence des biens ne suffit pas à établir un détournement.
5. Cas particuliers
a) Usage abusif de cartes bancaires
L’usage abusif d’une carte bancaire pour retirer des fonds au-delà du solde disponible ne constitue pas un abus de confiance, mais une inexécution contractuelle.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 24 octobre 1983 (Bull. crim. n° 315), la Cour de cassation a confirmé que l’usage abusif d’une carte bancaire relève du droit civil et non du droit pénal.
b) Retard frauduleux dans la restitution
Le retard dans la restitution des biens devient frauduleux lorsqu’il est systématique et intentionnel, notamment dans le cadre de jeux de trésorerie.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 6 septembre 2000, n° 99-87.552 (Dr. pénal 2001. Comm. 14), un greffier a été condamné pour avoir systématiquement retardé le versement des fonds reçus.
c) Impossibilité de restituer
L’impossibilité de restituer les biens peut être justifiée par un cas de force majeure ou une négligence non frauduleuse. En revanche, si elle résulte d’un acte volontaire, elle constitue un détournement.
Exemple : Dans l’affaire Crim. 27 avril 1994 (Gaz. Pal. 1994. 2. Somm. 10), un avocat a été condamné pour avoir déposé des fonds sur son compte personnel au lieu de son compte CARPA, rendant impossible leur restitution.
Conclusion
Le détournement est l’élément matériel central de l’infraction d’abus de confiance. Il consiste en un acte frauduleux par lequel le détenteur des biens remis à titre précaire les utilise de manière contraire à leur destination prévue, les aliène ou les dissipe, empêchant ainsi leur restitution. La jurisprudence a développé une interprétation large de cette infraction, en se focalisant sur l’intention frauduleuse du détenteur. Les cas particuliers, tels que l’usage abusif de cartes bancaires, le retard frauduleux dans la restitution ou l’impossibilité de restituer, illustrent la complexité de cette infraction et la nécessité d’une analyse rigoureuse des éléments constitutifs.